Hésitation de voix

pour Jasmine

«Jeune fille plus belle que les larmes
(…)
beaux yeux aux ondes de martin-pêcheur du matin.»
(Gaston MIRON)

Saint-John Kauss
Carol Theard
Jeune fille, Carol Theard. Galerie Nader

sans te dire ma vie et le midi qui sonne incompris dans la rutilance
des étés prometteurs Mais te dire mon amour qui cette fois-ci a le goût
de menthes brisées trop tardivement          à toi ma fille que j’aime tel un collégien attaché au profane que tu es des vierges sans opulence que digère ce peuple d’hirondelles

cette petite fille qui (chez moi) transpire un amour neuf avec tout le tumulte de ses gestes égarés de ses pardons clandestins et de son sourire d’écolière

je la vois grandir aux yeux des hommes              futur conjugué
au péristyle du destin Je la vois célébrer entre mes mains la beauté
de son nom / la vigueur de tout un amour sibyllin

je l’imagine déjà en jupe d’obsession étroite de sa voix mesurée portant lunettes et jarretières Je l’imagine déjeuner sans moi           compter ses folles idées d’enfant née à la minute          relire mon dernier bouquin bousculé par le temps          attendre la fin d’un cours pour parodier le poète

j’écris d’ailleurs pour elle (ta mère) ce long billet qui est tout un poème à une femme que j’aime Je la cherche constamment dans la nuit des roses et des présages          car je la veux au creux des mains dans mon sommeil et dans le temps vivant de son amour et pour moi dans la vasque des mots et le cal aimé des iguanes

je ne regrette rien : sourires d’amphibiens / corps d’haleine complice de notre amour / bonjours aux aguets / verbe indolent / jupes d’aventure / langage d’hirondelle

sans nous corriger quelque part dans l’itinéraire des couplets de rêves sans carnets d’adresse ni poèmes

je suis gardien de ses secrets les plus discrets          ô faucille mon aimée
et de ses yeux retroussés          il y eut son regard d’enfant de province dans tout son ébahissement

il y eut parfois ses lèvres et sa voix masquée   Il y eut aussi son corps dans ce pantalon blanc de neige qui me disait d’allumer la vie

mais je reste gardien de tous ses espoirs de femme fatiguée / utile matrice à mes entrailles / lange en habits de noce et de rosée / petit oiseau promis à la volée du vent

si tant que s’interrogent toutes ces pages écrites afin de célébrer notre première rencontre          ce cri à deux de commis-voyageur réclamant le droit de rompre les eaux           autant que ces photos d’enfants accrochés au poème de la vie traduisant la peur de te perdre hormis le mot de passe des laguis enflammés            autant que ces délires qui accusent la majesté de mon amour pour elle silencieuse épiant ma colère

de ses seins et de ses yeux présents sous les pitres du temple
je l’exploite             féconde et sans relâche dans la fébrilité du diaphragme maquillé au féminin

pour ce poème écrit sous sa jupe d’adolescente sans interroger l’anis l’absinthe et l’orignal             je m’impose d’un ton bourru de poète

remets-moi femme             ce pantalon bleu d’indigo qui te va si bien
et ce corsage fait d’aquarelles qui libère ta poitrine de l’incontinence
de la chair

j’écris aussi pour toi / silencieuse fleur des nuits / beauté à faire l’écho des cœurs si attendus

tu es la coordonnée des jonctions libres d’épousailles             immaculée sans préjugés des unes et des autres            fille de sibylle fleurie et amie du pollen

j’existe d’ailleurs pour elle    (ta mère)    nourricière et mes petits bateaux à sillonner son corps fragmenté entre mes mains pleines d’écarts et d’amour

car elle est encore la plus belle à écouter malgré le deuil des grands départs

elle me dira vite d’aller et d’embrasser les enfants endormis

je lui dirai d’un regard vrai mais désespéré ma compassion et ma sincérité compulsive à la crue belle de son amour

toutes ces pages et tous ces mots maladroits qui me font un voyage de cœur à travers les limbes Tout ce long poème rien que pour toi / inconnue du sexe et des plaisirs de la chair prochaine

rien que pour toi comme on porte l’enfance à la vanille ce long poème de l’archipel qui accompagnera nos bornes et nos maux dans l’anonymat des fêtes de campagne

j’ai fait ce long voyage             certain de tes yeux de châtelaine afin de retracer l’amplitude / l’amphithéâtre de ma passion pour elle l’exilée recherchée dans les poquets des jours            ô toi la belle précipitée en équation d’ivresse qui m’as apporté (comme le facteur) l’espoir des cocons en faîte et de la sentinelle

tu es la copie exacte de la femme conquise
tu es la vague sauvage de ma résurrection
le silence de mes arcanes imaginaires
l’authentique créole de ma ville endormie
tu es la feuille lointaine invitée au rendez-vous
le grand livre ouvert sur les sables comme un coquillage
mes attentes si belles qui ne sont ni mâles ni femelles

tu es la réconciliation qui me lie à la chair
l’accent soudain où s’annulent mes vieilles répliques
l’hibiscus murmuré dans les hautes feuilles du vieux sorcier
tu es le grand chaos dans chaque homme et dans chaque femme
mon aimée la fluidité de ma chair ma frénésie et ma frayeur
mon incendiée
mon insensée

par Saint-John Kauss
 

 
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