L'ÉCRITURE EST UN DÉSIR

Saint-John Kauss

Marassa
Marassa par Jean Claude VICTOR. Espaceloas.

J'écris pour moi et pour tout le monde. D'abord pour moi, afin de satisfaire un certain besoin qui s'est manifesté dès l'adolescence à la suite du divorce de mes parents. Faut-il dire que ce dernier affront de la nature a été le ferment, le catalyseur qui m'aura poussé à écrire? De mémoire d'homme, je dois répondre par l'affirmative. Entre 1972 et 1973, à l'âge de 14 / 15 ans, je ne voyais guère le monde aussi positif qu'il l'est actuellement pour moi. Ce fut la débâcle d'une famille apparemment aisée de Port-au-Prince. D'où, peut-être, ce grand désir d'écrire, cette vitalité et ce désir d'appartenance qu'aux choses essentielles et utiles de la vie. Car je vis ma seconde vie. D'ailleurs, la plupart de mes livres retracent un itinéraire d'évadé, mon itinéraire.

J'écris également pour les autres. Pour être lu et apprécié par les gens de toute catégorie sociale. Jusqu'à maintenant, je suis totalement satisfait des ventes et des succès de mes livres auprès du public tant québécois qu'haïtien. Sans tambour ni trompette, sans tapage ni fourberie littéraire, ma poésie se vend mieux au Québec qu'en Haïti. Médecins, infirmières, techniciens des hôpitaux de Montréal, journalistes, critiques, poètes et amis du Québec et d'Haïti sont mes lecteurs.

Mon projet d'écriture? Je n'ai pas de projets, je ne fomente pas de projets d'écriture. Je veux que ma trajectoire sur cette terre soit naturelle, simple et claire. Je pense, donc j'écris. D'ailleurs, j'écris de mémoire. La mémoire est la source d'où je déterre mes maux. Même la mémoire au sens plus large du mot, la mémoire au sens de l'Histoire, doit contribuer à l'originalité de mon inspiration.

Bref, j'entretiens également avec mon expérience migratoire (de migrant reçu), un simple rapport d'élargissement des lieux. Ailleurs, pour moi, est également un lieu d'écriture. Donc, l'acte d'écrire, qui est aussi un acte "d'exploration et de découverte", me devient double. Biphone, je souscris à l'idée d'explorer l'univers des mots et de faire découvrir, aux autres, le monde dans sa relativité.

Parlons de bonne littérature et de bons écrivains qui m'ont influencé? De ce côté-là, je suis très pessimiste. En ce sens, je déteste les littératures à grand tirage, médiatiques et mystificatrices. Je préfère les œuvres humbles comme celles d'un René Philoctète (Ces îles qui marchent, Caraïbe), d'un Serge Legagneur (Textes interdits), d'un Paul-Marie Lapointe (Le réel absolu, Tableaux de l'amoureuse), d'un Paul Chamberland (Terre Québec), d'un René Depestre (Gerbe de sang, Poète à Cuba), d'un Jean F. Brierre (Black Soul, La nuit, La source), d'un Frankétienne (Chevaux de l'avant-jour, Fleurs d'insomnie), d'un Jacques Brault (Mémoire), d'un Gilbert Langevin (Origines), d'un Gaston Miron (L’homme rapaillé), ou d'un Pablo Neruda (Chant général), etc. Influencé? Je le suis peut-être par l'idée (d'écrire), non pas par le ton et les mots (imitation servile). D'ailleurs, je me crée, de jour en jour, une résistance à l'imperfection et à la littéralité. Je suis pour la beauté des choses et des mots. Relisez mes livres et vous reverrez ce que je fais avec les mots. Mon territoire précis, c'est les mots.

Tous mes livres, bons ou mauvais, me sont chers. Ils représentent l'itinéraire de mon évasion. D'ailleurs, c'est l'une des raisons de mon éternel silence après leur apparition. Une fois publiés, les livres, pour moi, sont des affaires classées, des reliques, si vous voulez.

Dans les littératures contemporaines, que ce soit au Québec ou en Haïti, je me situe à l'ombre du Surpluréalisme, cette école littéraire fondée en 1980 avant mon départ d'Haïti, dont je suis le co-fondateur. En résumé, nous avons exigé, de par nos manifestes, cette mainmise du réel et l'extraordinaire sens de la beauté. L'écrivain de talent serait en mesure de s'adapter à ce métissage reflétant le monde d'aujourd'hui. Donc, moi aussi, je parle de métissage... des idées. En d'autres mots, il y a toujours cette sorte de dichotomie en moi. Hybride, je suis le produit d'une combinaison entre mon passé et mon présent. Bifide, je suis le scientifique et le rêveur. Je souffre, pensé-je, de la démence onirique. Je rêve toujours des chiffres et des mots... d'une vie meilleure pour les uns et les autres, de bonheur et d'une terre promise.

Selon moi, l'apport de tout migrant à la littérature québécoise d'expression française serait de travailler aux principes d'inclusion des autres qui pensent à leur façon, ne serait-ce qu'avec des matériaux importés. Encore là, je rejoins mais je ne fais pas l'éloge du métissage qui, dans son sens actuel, précis et ordinaire, revêt un caractère corporel. Je rejoins plutôt les mémoires et les idées qui peuvent s'unir pour une littérature francophone totale et capitale. Dans mon cas, je passe du local au global. Je pars d'Haïti afin d'aboutir à tous les territoires du monde; d'où le titre de mon livre paru au printemps de 1995: TERRITOIRES.

Je ne souhaite pas appartenir. J'appartiens aux littératures haïtiennes et québécoises. Et même à la littérature canadienne, au sens continental du mot.
 

 
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