Après L’ardent sanglot de Christophe Charles (juin 1978), Sérénade pour une nouvelle lune de Michelet Divers (août 1978), Boulpik de Dominique Batravil (décembre 1978), Cicatrices de Christophe Charles (janvier 1978), Dey ak Lespoua de Pierre Richard Narcisse (mars 1979), les Éditions Choucoune viennent de faire paraître Chants d’homme pour les nuits d’ombre de Saint-John Kauss. Un recueil de poèmes de 67 pages.
C’est dans un ramassis d’images pleines de regards crispés et de réverbérations, à l’heure où l’adolescence glaise ses rêves refusés dans les couloirs de l’espoir que le jeune poète Saint- John Kauss prend sa lyre pour chanter les passions, le rêves postiches telle une plaie contuse.
De la forme, du fond, du mouvement des vers, où se meut un message violent à la discordance de la parole poétique (où le souffle ne fait pas défaut), nous découvrons une thématique pure, sincère humaniste. Et avec une sémantique délibérée (qui casse des fois le rythme de la poésie), la poésie de Saint-John Kauss est à la jeune poésie haïtienne ce que Mallarmé a été à la jeune poésie française.
Thématique pure, sincère, humaniste, avons-nous dit, liée à une sémantique délibérée qui, passant par le creuset de l’inspiration où se fondent les rêves, les désirs refoulés, les romances avortées, les passions en des poèmes forts, diffus, doux – se déterminent comme étant l’écriture littéraire moderne. Écriture qui a fait du livre de Saint-John Kauss une valeur.
Son premier poème «Hommage à la poésie» est d’une belle texture, d’un souffle poétique luxuriant.
«Je t’ai croisée aux douze
coups de minuit
Sur la route libre du pays
tropical
Tu marchais coiffée d’amour
et de paille
Dans la glaciale nuit d’une saison de pluie
Je t’ai croisée en chair
et en os
Sur les rives désertes de
ma terre chiffonnée
Tu voulais dire au monde
Liberté, égalité, fraternité par exemple…
La poésie de Saint-John Kauss est avant tout une insurrection. Insurrection parce que s’écartant de la «rhétorique poétique petite-bourgeoise» pour pouvoir exprimer ses rêves, sa peur, ses inquiétudes, les malheurs du présent et son espoir absurde.
En guise de babioles comme récompense pour les enfants, de liberté, de pain pour les Antilles, c’est un «baiser de feu», «une épopée de plaisirs», «six bouquets de glanure» ou «une mitraillette».
D’un cri, le rêve est né. Et la poésie prend chair.
«Nos rêves ne fleurissent plus
parce que le pain est rare
(et cette terre mêlée jusqu’au bout à la
danse des songes)
Nos fleurs ne grandissent plus sans danger de chute»
Le poète est aussi touché par la licenciosité de la jeunesse. L’intronisation culturelle occidentaliste constitue une handicap évident pour l’éclosion saine et entière de notre identité.
«Nos roses ne claquent plus
aux splendeurs des matins
pour sceller
l’homicide de ces dieux bâtards
Nos fleurs ne parlent plus des
enfants de quinze ans qui
descendent dans les rues et
fument la marie-jeanne»
La volonté du poète de «crier la vérité des chansons des nuits noires», d’endormir l’univers et lui parler d’amour est, sans commune mesure, une démarche noble. Militante. Car depuis la création du monde, le soleil ne continue pas de tourner autour de la terre. Oui, il faut que les hommes cessent de bafouer, de tuer, d’exploiter. Il faut récuser l’inhumanisme. L’univers a besoin de beaucoup d’amour, de beaucoup de pain, de liberté.
Mais voici que le poète s’est mis une casaque spiraliste. À l’instar des FRANKÉTIENNE, PHILOCTÈTE ou SAINT-AUDE. Le soleil renaît de ses cendres, «construit des poèmes comme des barrages sur la mer». La lyre s’est faufilée derrière une réalité contrariée et demande à boire un «verre d’espace». La vie se détache du creux, devient fragile, oblique, étrange…
«Chacun poursuit sa route
accompagné du vent
(la lune est détrônée, marche au gré des heures )
et l’on se souviendra de ses paris de fleurs
sur sa terre en transe
Chacun pousse son cri à l’agonie
des nuits et le soleil recoud
ses plaies pour rechercher la
foule à chaque éclaboussure
d’auto
Chacun grince des dents à chaque
geste d’étoiles et l’on recherche l’Amour
à chaque frisson de voix»
…… inexplicables, indéfinissables, s’interpénétrant et pendant ces songes d’une esthétique violente. Expressionnisme tantôt catégorique, tantôt confus. Émotions sonores surréalisant la dialectique du langage poétique. On retrouve bien Rimbaud, Apollinaire, Saint-John Perse, Philoctète dans son beau poème intitulé «ÉCLATS».
«J’annonce la récolte des lambeaux de ciel bleu (…)
je m’en irai vers le soleil qui tisse
des bouquets de sanglots
Je chante la laitance des lunes
ressuscitées et mes pas au trafic
des saisons
épèlent des romances sans légendes»
Mais par delà toutes images abstractives, certains poèmes sont d’un impressionnisme dru. Impressionnisme qui n’est pas tout à fait sain.
«On a lutté à chaque odeur de pain
et les bourgeons de soleil ont
arraché nos cris
à chaque éclat de lumière»
«Il y a mon pays qui attend sa
ration d’étoiles
et nos regard d’épis, de fleurs éperonnent
l’innocence des vagues»
Note :
1- Saint-John Kauss: Chants d’homme pour les nuits d’ombre, Éditions Choucoune, Port-au-Prince (Haïti), 1979.
Saint John KAUSS
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