Galerie de peinture mauricienne, XIXe siècle  Galri lapintir morisyen, 19em syek

Obituaire

Emmanuel Richon

Obituaire

Nous déplorons la disparition de ce portrait de maire. Alors que nous nous proposions de le sauver bénévolement, ce portrait, qui se trouvait dans un état déplorable il est vrai, vient d'être malencontreusement jeté à la poubelle la semaine dernière. Faute de place, la municipalité de Port-Louis a déménagé ses portraits de l'édilité port-louisienne tout d'abord dans son grenier de la mairie rue Pope Hennessy, puis dans une annexe située dans une crèche pour enfants de la Cité Vallejhee, enfin, il y a quinze jours, dans une annexe de Cité Briquetterie. Les tableaux, à chaque manipulation et vu leur état de délabrement, sont malmenés et régulièrement, les pitons des uns rentrent dans la toile des autres, les inondations mangent les toiles, les coins frappent ou déforment les toiles, les termites se chargent du reste.

Il est plus que navrant qu'un tel crime continue d'être perpêtré sans dénonciation. C'est tout le passé politique du pays qui s'en va ainsi en fumée sans que quiconque ait bronché, comme si cette indifférence revêtait un caractère inexorable et sans gravité.

A la rue du Vieux Conseil, une bâtisse ancienne présente sur sa façade extérieure un pannonceau cuivré et rutilant qui affiche fièrement: "Musée de Port-Louis"

Au Mauritius Institute, côté rue Félicien Mallefille, même histoire, un autre pannonceau affiche National Art Gallery, inaugurated by... A l'intérieur, rien de tout cela n'existe... Tout cela n'est que pure fiction, idée d'un jour. A l'intérieur de l'édifice de la rue du Vieux Conseil ont lieu des cours d'aérobic...

J'ai tenté le tout pour le tout, grâce à Mme Mee-Line, ancienne bibliothécaire, nous avons pu sauver une dizaine de portraits d'une disparition certaine et rapide, mais à ce jour, même les tableaux restaurés, faute de cimaises dignes de ce nom, sont retournés dans les mêmes conditions de stockage provisoire et sommaire.

Malheureusement, le patrimoine pictural de ce pays fait partie de la part immergée de l'iceberg. La disparition des maisons émeut à juste titre tout le monde, car elle est presque palpable et se déroule devant nous chaque jour. Celle du patrimoine pictural ou archivistique est plus sournoise car rendue invisible. Personne ne sait où se trouve ce patrimoine ou en quoi il consiste, sa valeur, et pire, les tableaux de la collection de Rochecouste ont même fini par prendre une existence mythique, le commun des mortels finissant par douter de son existence même. Il est navrant que des Renoir, des Ziem, des Harpignies, des Redon ou plus modestement, mais avec une valeur historique incommensurable, tous nos portraits de Maires de notre capitale, puissent disparaître insidieusement, sans que personne ne s'en aperçoive et sans avoir même pu trouver leur public!

Il ne nous reste plus qu'à croire encore en l'intelligence humaine!

Peut-être la même qui avait prévalu dans la conception de tant de chefs d'œuvre ou celle même qui affirme sans cesse qu'un peuple sans mémoire... Qu'il nous suffise de penser ou rêver à tout ce potentiel muséal, condamné à disparaître, l'absurdité même!

Pensez seulement que ce portrait aurait certainement pu être sauvé.

Emmanuel Richon
16. mai 2006