Quel citoyen le système
éducatif haïtien prépare-t-il?

Claude Bernard Sérant
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LeNouvelliste, 14 juin 2006

Faire le point sur le problème des dysfonctionnements du système éducatif
haïtien relève du travail du didacticien. Il doit guider l'action de nos décideurs.

 

Quel citoyen le système éducatif haitien prépare-t-il?
Le directeur de l'ISEF Pierre Dumont, le doyen de la FLA Pierre Vernet,
le vice-recteur de l'UEH Fritz Deshommes, le représentant de l'IRD Daniel Barreteau.
Pourquoi certains des élèves haïtiens ne s'intéressent-ils plus au français? A cette question, le directeur de l'Institut Supérieur d'Etudes Francophones (I.S.E.F.), Pierre Dumont, a déclaré ironiquement que «c'est peut-être parce qu'ils en ont assez d'apprendre par cœur des règles de grammaire qui ne servent à rien».

Le directeur de l'I.S.E.F. a donné le ton au colloque organisé par la Faculté de Linguistique Appliquée d'Haïti dans la matinée du lundi 12 juin 2006, dans son local, à la rue Dufort.

Le colloque s'est articulé autour du thème: «La coexistence du créole et du français en Haïti et ses implications didactiques».

Les contre-performances de certains enseignants de français rendent l'apprentissage de la langue plus difficile, d'autant plus que l'apprenant n'est pas soumis à un bain linguistique francophone.

Le directeur de l'I.S.E.F., tout en se basant sur les travaux de recherches réalisés par les étudiants haïtiens, a soulevé quelques problèmes: l'inadéquation des manuels, des outils pédagogiques qui sont mis au service des enseignants haïtiens.

«Il faut qu'on ait le courage de dire à nos décideurs : débarrassons-nous de l'imitation servile d'un modèle franco-français parisien normatif qui ne correspond plus à rien», a-t-il poursuivi. Les Haïtiens ont droit à leur français. Beaucoup de gens qui l'utilisent ne mesurent pas la relativité de la langue dans l'espace francophone. En donnant aux élèves et étudiants haïtiens les moyens, ils prendront conscience de cette relativité. En fait, «les Français ne sont pas propriétaires du français. Nous sommes des copropriétaires du français», a-t-il dit.

Le directeur de l'I.S.E.F. a recommandé à nos didacticiens de faire le point sur le problème de la formation des enseignants de français en Haïti et de prendre en compte des profils sociaux.

Le rôle du didacticien face aux décideurs, a-t-il déclaré, est de soulever certaines questions et dégager des pistes d'action en vue de faciliter la tâche des autorités qui nous gouvernent. A ces experts, il incombe la responsabilité d'analyser, d'observer les causes des dysfonctionnements du système éducatif haïtien.

Pour une pédagogie de la compétence. Pour que le travail de recherche des didacticiens ne soit pas vain, les décideurs haïtiens ont pour obligation de définir des profils sociaux en fonction des besoins du pays. Quel type de citoyen l'État veut-il que le système éducatif lui prépare? Il faut développer une pédagogie de la compétence dans le système éducatif haïtien pour être rationnel. Cette expérience a cours actuellement en Tunisie, a informé le directeur de l'I.S.E.F.

Cet atelier itinérant de recherche sur l'enseignement du créole et du français dans l'espace américano-caraïbe fonctionne depuis tantôt trois ans. Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, Sainte-Lucie, Guyane sont autant de destinations de l'atelier de recherche qui regroupe des compétences auxquelles font partie des chercheurs haïtiens. Ils se réunissent régulièrement, a informé le représentant de l'Institut de Recherche pour le Développement, Daniel Barreteau, «pour essayer de réfléchir sur des méthodes pouvant améliorer l'enseignement du créole et du français dans la Caraïbe». L'idée de cet atelier, a renchéri le doyen de la FLA, Pierre Vernet, consiste à rassembler des chercheurs, des enseignants-chercheurs pour développer aussi des outils méthodologiques adaptés au milieu haïtien pour une maîtrise des deux langues.
Quel citoyen le système éducatif haitien prépare-t-il?
Le vice-recteur de l'Université d'Etat d'Haïti Fritz Deshommes assiste au premier rang.


Le français s'installe depuis des siècles en Haïti comme une langue de prestige. Cette tendance persiste en même temps qu'il perd du terrain.

Le vice-recteur à la recherche de l'Université d'Etat d'Haïti, M. Fritz Deshommes, pense que «poser la problématique créole/français en Haïti est fondamental». Le français est confiné dans nos livres, s'affirme dans les colonnes de nos quotidiens, présente sur nos chaînes de télévision et sur les antennes de nos stations de radio, et très peu pratiqué sur le territoire de la République. En plus, il est mal enseigné par nos instituteurs. Décidément, estime le vice-recteur, «le français pose problème à notre système d'enseignement tant au niveau primaire, secondaire qu'universitaire».

On aura beau affubler les langues de toutes les épithètes négatives, elles ne seront pas moins qu' «un système de signes linguistiques vocaux, graphiques ou gestuels qui permet la communication entre les individus».

Haïti est riche de deux langues: le créole et le français. Les deux se mélangent agréablement dans notre creuset culturel. Le travail de nos créateurs rend bien ce métissage.

Claude Bernard Sérant
 

 
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