Ayiti

L'écriture dramaturgique de l'auteur Pierre Saint-Sauveur

Aurait-elle atteinte l'âge de raison ?


Pierre Saint-Sauveur

Comédien – Dramaturge –Écrivain- Enseignant à la retraite
Récipiendaire du Grand Prix Littéraire 2004
De l'Association Haïtienne des Écrivains

Par Marie Flore DOMOND
 

MON ŒUVRE SCÉNIQUE est une collection de monologues, de sketchs, de pièces et de musi-théâtre de l'auteur Pierre Saint Sauveur. Dans ce module on y retrouve notamment ses propos personnels. Alertement l'auteur déclare: «Le théâtre m'a beaucoup servi au cours de ma carrière dans l'enseignement (…). J'ai pris la somme du comportement du politicien haïtien pour forger des personnages afin d'assurer la pérennité de mes œuvres (…)». C'est dire qu'en tant qu'observateur de son temps, il s'en sert comme baromètre social de la même manière que le poète Homère et plus tard, Molière. Bien que certains éditeurs contemporains, dans leurs rapports d'affaires n'hésitent plus à réduire l'art de la représentation au stade d'un genre mineur. Ainsi, le théâtre serait-il devenu un mal nécessaire! 

Le dramaturge

Pierre Saint-Sauveur

MEN KANDIDAA

Comédie satirique et politique en 2 actes  

Je ne prétends pas avoir parcouru les 224 pages du module. Par contre, dans mes moments de déprime, je me surprends en train de relire la comédie satirique Men Kandida-a que j'ai déjà assisté sur scène. Dès lors, j'avais qualifié le contenu de SCÉNARIO THÉÂTRAL RÉVOLUTIONNAIRE. Surtout que cette pièce unilingue créole nous replonge dans une ambiance «natif-natal».

Il fallait voir cet audacieux spectacle et l'auteur-acteur qui porte un mil les étroits mocassins surmontés de toutes sortes de préjugés que les femmes ont longtemps chaussés dans leur lutte contre le règne de la suprématie du sexe opposé. L'auteur a su mettre à nu le confortable rôle du dominant-dominé passant en revue les hommes dans leur complexe narcissique, autant que dans l'exercice grandiloquent du pouvoir.

Quoi de plus typique qu'une toile de fond politique prétextant la candidature d'un citoyen haïtien dans un but précis, mais sans un programme sérieux. C'est le cas du protagoniste (maître Zébulon) qui entraîne avec lui dans une campagne farfelue deux autres personnages: Augustin appelé communément Tintin rôle joué par Jean Robert Bellarmin. Ce dernier, voulant remplir orgueilleusement la tâche de conseiller politique de son acolyte (chef Boukman), se retrouve soudain, face à face devant son ex-maîtresse, (Adrienne) Marie Claudette Ciriaque déterminée plus que jamais à démasquer le candidat qui avoue lui-même être un imposteur. Elle se substitut sans préavis à la place du conseiller trop ambitieux à son goût, dans l'espoir d'apporter un souffle nouveau au déroulement des événements. Pour se faire un affrontement sans merci prendra chaire.

Comment conscientiser les deux hommes «monstres» envers la population crédule et désespérée! A travers un dialogue franc et cru l'auteur réinvente l'expérience féminine. Et dans l'explosion d'autorité dont elle s'approprie, elle parvient à les faire abandonner leur plan dans le remords.

Le premier acte, quant à lui, démontre principalement les excentricités et la soif des individus marqués par l'égoïsme, la méfiance, l'envie, la jalousie et l'hypocrisie. Autant de faiblesses masquées dans la drôlerie.

Si au lendemain de cette représentation, la critique a accordé une note quasi parfaite à l'auteur et sa troupe, je leur ajoute la mention excellence pour la hardiesse des mots qu'ils ont tout fait preuve. Une initiative qui a été très appréciée par les spectateurs. Dans le cas d'une autre représentation, que la mise en scène ainsi que le décor seront plus améliorées.

Le romancier

Pierre Saint-Sauveur

MOI, J'AI LE CŒUR BLANC, Pierre Saint-Sauveur
Éditions pour tous, Brossard (Québec), 1998.

La littérature de migrance et ses déboires 

Qu'est-ce qui explique le phénomène de l'anonymat ou la quasi méconnaissance de la majeure partie des auteurs migrants au Canada et précisément au Québec? Avant toute chose, énumérons quelques spéculations probantes qui tournent autour des préjugés populaires défavorables à l'égard de certains créateurs. Au premier plan, on retrouve l'argumentation de la minceur du contenu de leurs œuvres respectives. Il s'en suit l'idée de l'étoffe, de leur fade talent qui laisse à désirer. Procédons à présent à d'autres tendances qui se dissimulent sous l'autre logique concernant le grand public. Fort souvent, le lectorat manifesterait un mépris total vis-à-vis des activités littéraires. Mais il reste un autre raisonnement peu négligeable. Pour pouvoir catégoriser une œuvre, il faut d'abord la consulter, l'analyser, la comparer avant de songer à une quelconque dépréciation ou à une consécration définitive.

L'auteur Pierre Saint-Sauveur est un écrivain consommé. Il compte à son actif quatre romans (dont un est à paraître), des contes et nouvelles, une œuvre scénique, ainsi que des monologues sur CD et des scènes radiophoniques, produits dans la mêlée des événements survenus dans la diaspora. On peut notamment citer: FANTAISISTES, MES PETITS ÉCRITS? (Contes et nouvelles, 1996); MOI, J'AI LE CŒUR BLANC (roman, 1998); MANIKA (roman, 1999); REQUIEM POUR DES LAMPADAIRES (roman, 2001); YKU OU MONSIEUR PHAROT, ÉCRIVAIN PUBLIC (roman de jeunesse, inédit à paraître en 2005); MON ŒUVRE SCÉNIQUE (théâtre, 2002). Il compte également un album double inspiré de la grande saga historique de l'explorateur Christophe Colomb (IL ÉTAIT UNE FOIS LE CIPANGU…, novembre 2004).

De ces œuvres, la plus éloquente, selon moi, demeure  le roman MOI, J'AI LE CŒUR BLANC qui exprime les rêves et les désillusions de l'auteur. Les autres ouvrages feront l'objet de commentaires ultérieurement. Dans le cadre de la lecture de cet ouvrage, on y décèle plusieurs critères qui se réfèrent à un genre littéraire très particulier. Le renouveau fantastique de par l'insécurité des personnages . Car par définition, le fantastique est un genre littéraire qui raconte des événements du monde réel, lequel, peu à peu, est soumis à des issues surnaturelles. C'est donc un roman de circonstance qui se révèle être un outil utilitaire pour tous ceux qui ont franchi la frontière en se démarquant de la culture haïtienne, autant que pour ceux qui emboîtent le pas de la crise de l'identité par rapport au dilemme de la prétention d'assimilation. Ce phénomène est, à mon avis, occasionné principalement par l'immigration et par le processus D'ADOPTION en expansion. Mais la question essentielle est la suivante: Qu'est-ce qu'une crise d'identité? Il va sans dire que c'est la manifestation, ou des indices de peur, de crainte, de doute, d'hésitation qui trouvent une embouchure dans une remise en question de nos valeurs, de notre origine et parfois même de notre existence.

Je m'abstiens de résumer l'histoire par peur d'interrompre brutalement la curiosité des futurs lecteurs. De préférence, je m'assurerai de bien cerner les réelles intentions de l'auteur; car l'intérêt que ce dernier semble attacher à l'impuissance de la collectivité de pouvoir résoudre le phénomène d'adoption caractérise le bien fondé de sa démarche.

L'aisance de l'auteur à considérer les perspectives politique, sociale, religieuse et culturelle du sujet d'adoption ajoute à la crédibilité de l'intrigue qui se dévoile apparemment telle une sorte de fiction pour ensuite se concrétiser dans une cruelle réalité. Les influences du destin sont constamment mises en évidence. En voici les opinions émises par l'auteur sur quelques aspects: «L'orphelinat lieu de survie… Où on organise cet espèce d'encan pour enfants…Pour faire des séances de choix…»; «En abandonnant jusqu'à son nom de famille… Sœur Emma a rapporté toute son affection vers ce Jésus, son vrai époux virtuel.»; «Une dame haut placée dans les allées du pouvoir… Elle avait promis par une lettre anonyme à sœur Emma, qu'elle serait sa protectrice quoi qu'il arrive.»; «Que fait-il ton oncle, comme profession?… Il est hougan! on dit gangan! dans le langage populaire ou bocor!… C'est un médecin de l"âme.» Et comme l'auteur se fait narrateur à travers une «voix off», par moments, il laisse paraître ses insatisfactions, ses frustrations, ses irritations ou son plaisir sur bien des actions qui se passent autour de lui. À titre d'exemples, quand un de ses personnages soutient: «j'ai déballé non seulement mes idées mais aussi mon enthousiasme. Parfois c'est plus important que l'objet concret lui-même.» J'ai senti l'ombre et la conscience de l'auteur juste derrière ce dernier.

Les trois principaux protagonistes, porteurs de fardeaux dommageables presqu'irreversibles autant pour eux que pour leur environnement, incarnent les produits incontrôlés de deux systèmes, de deux sociétés (Haïtienne et Québécoise) qui négligent ou du moins méprisent trop le côté humain au profit d'une certaine absorption. Fort heureusement, les personnages sont dotés d'une puissante volonté digne des héros légendaires, de caractère téméraire, d'humeur variable, qui favorisent soit la manipulation, la domination, la contestation, la révolte ou la rébellion. Le dialogue y est hautement philosophique appuyé par des faits, des pensées directrices d'auteurs de référence, des histoires et des anecdotes. Les lecteurs sont alors témoins d'une féroce rivalité entre classes sociales. Une dualité entre personnalités, novice et initié, victime et gagnant de la persévérance sur l'abandon et de la victoire sur l'échec. Une habile manœuvre absolument captivante. Tout cela est rendu possible grâce à leur héritage (des personnages) intellectuel et mystique, grâce à leur intelligence intuitive bien distincte, qu'elle soit acquise ou innée.

Les femmes jouent un rôle prépondérant du début jusqu'à la fin de l'histoire. On retrouve la femme d'adoption, puis la femme de l'initiation affective et sexuelle, la femme-guide, ensuite celle qui symbolise la déesse et le pouvoir absolu sur ses favoris. Cependant, selon le degré d'implication et d'imprégnation du lecteur, il peut facilement déceler l'intensité et l'évolution de la malveillance et de la bonté des personnages et de l'humain.