Ayiti

Un Etat à reconstruire

Jean Erich René
 

Il faut refonder l’Etat haïtien. Il incombe à nos élites, non pas à la Communauté Internationale, d’assumer cette lourde responsabilité. Dans tous les pays avancés ce sont les élites qui ont une vision politique et qui réussissent. Qu’il s’agisse de la France avec l’élite bourgeoise, de l’Angleterre avec l’élite aristocratique, du Canada et des USA avec l’élite coloniale, des NPI avec l’élite intellectuelle, des pays socialistes avec la classe moyenne montante etc.. la théorie des élites s’impose. Où sont les élites haïtiennes ? La Maison Blanche identifie les élites haïtiennes sous le sigle MRE c’est à dire: Most Répugnant Elite. Nous reconnaissons leurs faiblesses mais quelle que soit leur nature, elles sont nos élites. Nous ne pouvons pas les rejeter pour embrasser l’élite américaine. Aussi nous optons pour le changement dans la continuité.

Compte tenu des contraintes historiques, nous devons absoudre nos élites relativement à leur laxisme et entamer un nouveau départ. Haïti a été victime à diverses périodes de son histoire de la fuite de ses élites à cause de l’insécurité interne ou externe. On a enregistré quatre vagues de départs massifs en Haïti: les Colons, les capitaux, les Affranchis et les Esclaves à talent. Boyer a tenté de résoudre la menace externe en payant la dette de l’indépendance. Par contre Boyer a fragilisé la structure interne. La dette de l’Indépendance a handicapé notre développement puisqu’il n’y a pas eu d’investissement. La requête de Jean Bertand Aristide au Gouvernement de Jacques Chirac est juste mais mal formulée pour paraphraser le Docteur Sauveur Pierre Etienne, contrairement aux 150 millions mentionnés le montant principal est de 90 millions puisqu’en 1888 l’Etat français avait effacé 60 millions.

Nos élites ne sont pas homogènes. Dès le commencement de la colonie il y avait une différence entre Blancs et Affranchis, nègre bossale et nègre créole. De plus on distinguait les esclaves à talents attachés à la production industrielle, les esclaves de métier et les ouvriers agricoles.

Nous n’avons jamais eu une société visant les mêmes objectifs. Le paysage social haïtien a changé avec l’arrivée des syro-libanais en perpétuel conflit avec les Blancs d’origine européenne et américaine qui viennent renforcer l’aile mulâtre de la Bourgeoisie haïtienne, qui s’est enrichie et devient assez forte pour accéder au pouvoir. L’exode rural récent a complètement changé le faciès social haïtien. La révolte des opprimés est en ébullition dans les périphéries de la Capitale et de nos villes de Province.

L’institutionnalisation du brigandage politique est la consécration de la crise structurelle d’Haïti. Quand des bandes armées imposent leurs lois on ne peut plus parler d’Etat. “L’escalade des rivalités internes et externes conduit à l’escalade de la liberté” disait Juan Bosch. La fraction au niveau de la classe supérieure a permis au peuple de comprendre l’importance de la violence. Dans une société où il n’existe pas une bourgeoisie nationale réelle et une classe ouvrière on ne peut pas parler de classe moyenne ni de socialisme. La classe moyenne est intermédiaire entre la Classe bourgeoise et la classe ouvrière qui malheureusement n’existe pas en Haïti. L’autonomisation est à l’origine d’un Etat moderne. Mais quand c’est une classe d’hommes mal ancrés dans nos structures nationales qui domine, l’Etat n’est pas autonome. Nous vivons de préférence au sein d’une société d’exclusion en Haïti.

Le Docteur Sauveur Pierre Etienne reconnaît qu’à l’heure de la globalisation la tâche du relèvement de la Nation se révèle vraiment difficile. Le concept de souveraineté devient flou. Nous sommes pris dans l’entonnoir politique international. La crise sociétale haïtienne actuelle est différente des crises ordinaires enregistrées à chaque changement de Gouvernement. Elle est associée à des problèmes économiques graves comme toile de fond. Avec la mondialisation, le capitalisme a pénétré dans nos zones rurales et exproprié nos paysans pour l’établissement des zones franches. D’où cet exode massif vers Port-au-Prince qui abrite aujourd’hui 3 millions d’habitants.

Le milieu rural haïtien est déséquilibré et l’Etat-Nation s’est effondré.

Comment donc mettre fin à cette crise? Comment transformer cette société d’exclusion? Comment faire des marginaux des citoyens à part entière? Il ne s’agit pas seulement de renverser Aristide. Il faut aussi en assumer les coûts. Haïti dispose-t-elle de ressources suffisantes pour moderniser sa structure? Il y a une perte de 300 millions au niveau des recettes fiscales.

Karl Marx affirme que: “La raison ultime de toutes les crises réelles c’est la misère et la sous-consommation des masses”. La bourgeoisie haïtienne doit faire son mea culpa et adopter l’attitude du publicain repenti en remettant aux fiscs ce qui leur est dû. Dans le cas contraire elle tombera sous la condamnation sans recours des altermondialistes. Elle sera prise entre l’enclume de la vindicte populaire et le marteau des mondialistes. Les architectes de la mondialisation, leurs alliés naturels, ne partagent plus la structure organique de leur capital. Quel que soit le cas, la bourgeoisie haïtienne périra si elle refuse de changer.

Bernard Gousse, Ministre de la justice et Chef de la Sécurité publique dans son discours d’adieu a dénoncé l’hypocrisie de la Communauté Internationale et l’implication des secteurs internationaux dans les actes de violence en Haïti. Le kidnapping est un instrument de lutte qui ne figure pas dans la panoplie des armes d’Haïti. Nous avons connu d’autres formes de violence telles que le déchouquage, le Père Lebrun, la casse des voitures, l’incendie des maisons etc... Mais la prise d’otage est une innovation récente inaugurée avec les Casques Bleus de l’ONU en Haïti.

Nos élites sont dans le colimateur des bandits internationaux. On veut à tout prix détruire nos élites, saper l’économie nationale afin d’ouvrir un nouveau marché pour les multinationales. Il ne reste qu’une seule issue aux élites haïtiennes: changer de comportement et participer activement au chantier de reconstruction de l’Etat sous le signe de l’Unité Nationale.

Jean Erich René
juin 2005