Ayiti

Entre ciel et terre

Jean Erich René
 

Trou de fer Réunion
Notre existence s'écoule comme la rivière... Photo F.P.

 

Nous nous fixons publiquement des objectifs sans mettre en œuvre les moyens pour les atteindre. Souvent nous saisissons l'ombre pour la proie. Nous allons d'illusions en illusions en accumulant des sentiments de frustration. Nous ne nous donnons pas la peine de passer en revue nos batteries avant d'entreprendre certains projets.

Il n'y a pas de prière dans la bible contre les vagabonds mais contre les mauvais esprits. Jésus lui-même pour chasser les vendeurs du temple n'a pas prié, il s'est armé de son fouet. Dieu laisse aux terriens le soin de s'occuper des problèmes matériels. Si nous croyons comme Icare que nous pouvons atteindre le Soleil avec des ailes de cire, l'échec est imminent.   Nous connaissons des rêveurs très sympathiques avec des visions d'avenir très réjouissantes. Ils ignorent les lois de la nature et vont jusqu'à mépriser la pesanteur qui assure notre équilibre sur cette planète. A entendre leurs charmants discours, ils possèdent les forces d'Hercule et jouissent d'une invincibilité imaginaire. Ils peuvent balayer tous les obstacles sans le moindre signe de résistance sur leur passage. Ils ont tout en mains pour placer Haïti sur les rails des pays développés du monde. Il suffit de les mettre en selle pour que la lumière soit.  Nous avons tous le droit de rêver.

Albert Einstein affirme que l'imagination est la plus grande source de richesse de l'homme. Les projets les plus grandioses au stade de nymphes ne sont que des rêves. Mais quand ils sont bien articulés ils laissent leurs cocons pour se concrétiser dans la réalité et prendre des ailes.

En rêvant on peut s'élever vers le ciel, se déplacer aisément comme superman s'approprier des fortunes et des pouvoirs extraordinaires mais en se réveillant on laisse tout dans le lit pour renouer avec la réalité quotidienne. Rien n'est plus démoralisant que des succès remportés au cours de ses rêves perdus. La plus grande erreur de nos rêveurs c'est qu'ils ne se rendent pas compte de la finitude de leur existence. A partir d'un âge certain on n'a plus de temps devant soi pour rêver.  Les jours filent comme le sable entre les doigts. Tout passe, tout se transforme en vents et en poussière puis en poussière que le vent emporte. Sous nos regards indifférents le monde extérieur change graduellement.

Nous ne sommes plus en 1946 ni en 1957. Les exploits de 1971, 1986, 1991 appartiennent déjà à l'histoire. Nos enfants ont leurs propres enfants. Certains de nos amis d'antan ont disparu dans le décor. Que sont devenues les intelligences d'élite des générations passées. Notre existence s'écoule comme la rivière de la Grand'Anse dans la baie de Jérémie laissant sur ses berges et à son embouchure les mesquineries de la vie courante.

Nos souvenirs les plus doux s'effacent pour laisser la place à la désillusion. Nos projets d'avenir les plus prometteurs s'amoncellent comme des nuages puis s'estompent à l'horizon en nous laissant avec ce goût d'insatisfaction sur les lèvres.   Parfois on plie sous le poids des vicissitudes de l'existence. On est vraiment fatigué d'entendre les propos flatteurs de ces politiciens en quête d'électorat. Ils cherchent des oreilles complaisantes pour déverser leurs épopées mille fois ressassées comme des histoires de Malice et de Bouqui qu' on écoutait le soir autour du feu avant de s'endormir. On ne peut pas faire de la politique au Plus que Parfait mais au présent. Qui parle de Noiriste, du plus grand bien au plus grand nombre etc.

On aimerait se retrouver seul dans un endroit placé au-dessus des nuages pour gouter un peu de repos. Si on pouvait se couler dans les veines des oiseaux, on emprunterait leurs ailes pour accrocher nos nids au flanc des coteaux c'est à dire loin des tracasseries de la vie courante, à l'abri des intrigues politiques. Ainsi on pourrait souffler un peu et connaitre ce sentiment de joie infinie.   Entre terre et ciel nous baladons nos rêves comme des objets précieux sans jamais les concrétiser. Nous devons revenir sur terre en limitant nos ambitions et nous approcher de la réalité.

Vaut mieux passer à l'action au lieu de nous endormir en ressassant des rêves irréalisables. Pour satisfaire ses désirs il faut se fixer d'abord des objectifs ensuite mettre en œuvre les moyens d'y parvenir. Si Jésus était suivi par une foule c'était beaucoup plus grâce au miracle qu'il réalisait qu'à son évangile. Sans la multiplication des pains, sans la transformation de l'eau en vin on prêterait peu d'intérêt aux propos du Christ. C'est pourquoi le peuple souhaite son retour. Il sait mettre le doigt là où le bât blesse et apporter des solutions immédiates aux problèmes de ses suiveurs.   

Jésus a laissé ses paroles mais ses disciples ignorent encore les secrets de ses miracles. Si Jésus revient cette nuit, pour convaincre le peuple haïtien il serait forcé de résoudre le problème de l'insécurité, de la faim, du logement et de l'électricité. La foi sans les œuvres est une foi morte. On ne peut pas tabler seulement sur les versets bibliques pour conduire les destinées d'un peuple.

Si la prière peut fortifier l'âme, la meilleure source d'énergie pour le corps c'est la nourriture. Quelle que soit votre confession religieuse si les promesses du pasteur ne se réalisent pas, un sentiment de suspicion et de révolte va soulever les fidèles les plus zélés. L'heure n'est plus aux attentes béates. Il faut résoudre concrètement les problèmes fondamentaux du peuple haïtien.  

 

Jean Erich René
juin 2005