Ayiti

La démocratie est bourgeoise.

Jean Erich René
 

 

 

Les économies marchandes du Nord ont créé et prôné un modèle de démocratie dont les principes de base reposent sur la liberté et l'égalité pour tous.

Paradoxalement dans le monde capitaliste, le pouvoir politique est exercé par un petit groupe qui contrôle les richesses nationales pour les canaliser au profit de leurs classes sociales. Le scandale des Commandites au Canada et le contrôle des exploitations pétrolières mondiales par les grandes familles américaines sont de brillantes illustrations. La guerre en Irak n'a d'autres origines que ses puits de pétrole. Selon la vision marxiste du jeu des classes sociales, la démocratie est bourgeoise.

Derrière le mythe du Gouvernement officiel, se cache une clique qui concentre entre leurs mains tous les intérêts économiques. Il appert donc que la misère est le produit de l'inégale répartition des richesses nationales. Le sous-développement de l'Etat-Nation est la résultante du système hiérarchisé, inégalitaire et injuste de l'économie mondiale sous l'impérialisme des Grandes Puissances.

Retrouver la quadrature du cercle et instaurer la démocratie deviennent impossible dans les pays sous-développés comme Haïti. Des inégalités économiques trop criantes sont à l'origine des dissensions sociales qui secouent le pays de Jean Jacques Dessalines. La démocratie suppose d'abord la satisfaction de certains besoins primaires comme: aliment, logement et vêtement, que François Perroux appelle les coûts de l'homme. La démocratie est la dérivée partielle du taux de croissance économique, du niveau d'éducation et de la performance des Institutions de l'Etat. Implanter la démocratie selon le modèle capitaliste sur un terrain de misère est suicidaire pour le corps social.

Depuis 1986, au nom de la démocratie, on assiste en Haïti à un débordement des revendications populaires. Les manufactures de la sous-traitance ont fui les rives d'Haïti. On a enregistré des scènes horribles de pillage des magasins et d'autodafés humains. Le PDCH de Sylvio Claude et le KID de Evans Paul furent les maîtres incontestables et incontestés du béton dans ces périodes particulièrement troublantes de la vie nationale.

Aujourd'hui le kidnapping est en train de saper les bases de la nation. Tout le monde est tombé dans le filet des malfaiteurs. Des venelles de nos bidonvilles jusqu'aux quartiers huppés de Pétion-Ville, de la petite marchande assise aux coins de nos rues jusqu'aux propriétaires des magasins, des rançons sont exigées en fonction de l'importance de la victime. Cette démocratie de la misère est préjudiciable au corps social et ne fait qu’aguerrir la méchanceté et l'audace des truands.

Sursum Corda! Elevons les débats en laissant tomber nos masques. En toute sincérité, les bouillonnements sociaux actuels chassent des esprits lucides l'illusion d'application du modèle démocratique occidental en Haïti. Les moyens d'y parvenir sont handicapés par la misère résultant du sous-développement économique. La démocratie est bourgeoise.

Que faire alors? Il faut tenir compte des conditions concrètes des réalités économiques du milieu haïtien. On ne peut pas lutter à coup de fusil contre la misère et les misérables. Ils sont invulnérables et invincibles par la force. Ils reviendront au galop dans un délai assez court. "Il faut un minimum de bien-être matériel pour pratiquer la vertu" nous dit St Thomas d'Aquin. On ne peut pas demander à quelqu'un qui n'a rien mangé hier et aujourd'hui et qui doute de son lendemain de sourire aux riches. S'il est difficile de faire germer des semences sélectionnées dans les terres ingrates il est quasiment impossible de faire triompher l'idéal démocratique dans les sillons de la misère. Il nous faut coûte que coûte poser l'équation de développement économique d'Haïti en remettant les clés du Palais National à un leader digne et compétent. Que les amateurs, les menteurs, les imposteurs les simulateurs et les forts en paroles s'abstiennent. La démocratie est bourgeoise.

Jean Erich René
mai 2005