Ayiti

L’agonie de l’Etat-Nation

Jean Erich René
 

La République d’Haïti dont les structures économiques sont déjà anémiées reçoit les rafales de la doctrine néo-libérale. Les économistes de Bretton Woods tentent de sauver l’Economie américaine de cette baisse tendancielle et quasi irréversible de son taux de profit, compte tenu de la loi du rendement décroissant.

La prophétie de Karl Marx se rapproche de plus en plus de la réalité: l’économie américaine propulsée par un jeu de contradictions internes va de crise en crise jusqu’à sa perte finale. La plus-value qui constitue le moteur de la croissance économique du système capitaliste constitue aussi son point de faiblesse. L’appétit glouton des entrepreneurs les porte à croître leur production, augmenter leur plus-value et gonfler leurs profits.

L’anarchie de la production finit par engager le système capitaliste dans une impasse. Le ralentissement de la croissance est à l’origine de la crise réitérée du système. Etant constitué d’une succession de crises au cours de son histoire, sa régénération est assurée par les solutions apportées à chaque nouvelle sortie de crise créant ainsi de nouveaux débouchés. La résolution de la crise de 1930 s’inspire du Keynésianisme vivement combattu par la suite. Les idées de John Ménard Keynes ont assuré le réveil économique des nations affaiblies par la Guerre. Au troisième millénaire les architectes de la mondialisation qui maîtrisent les avenues des Institutions de Bretton Woods proposent l’intégration des pays en voie de développement dans le circuit capitaliste par le biais de la Mondialisation de l’Economie.

La doctrine néo-libérale tente de dénouer la crise économique capitaliste en l’évacuant dans le Tiers-Monde. Ainsi elle pourra éviter adroitement les pressions ouvrières occasionnées par le syndicalisme dont les Conventions Collectives ne font que ronger la marge de profit des entrepreneurs et ralentir la croissance. D’où la délocalisation de certaines branches de l’industrie précédée de leur fermeture et parfois de leur vente pour 1 dollar symbolique. Leurs transferts vers les pays en voie de développement où le salaire est plus bas et dont les lois sur la protection des travailleurs laissent à désirer, constituent un nouveau souffle. Lénine dans “L’Etat et la Révolution” avait annoncé l’avènement du “Capitalisme monopoliste d’Etat”.

Pour éviter les conflits internes attisés par les revendications des syndicats de la classe ouvrière et garantir du même coup la croissance du taux de profit, les pays de la périphérie pourront jouer le rôle d’amortisseur. C’est pourquoi les grandes firmes multinationales intensifient leurs exploitations dans les pays en voie de développement. Il est aisé de comprendre le sens des nouveaux rapports transnationaux et leurs incidences politiques nationales. C’est une erreur monumentale de croire que Haïti ne représente aucun enjeu pour le Gouvernement américain.

Avec une population de 8 millions et demi d’habitants nous constituons certes un segment important du marché de consommation des produits américains. Selon le plan du MIDH (page 94), «le nombre de personnes en âge de travailler en Haiti, c’est à dire qui ont 15-64 ans, est de 4 millions. Compte tenu du taux de croissance démographique il y aura une demande supplémentaire annuelle de 110.000 emplois.» Notre poids est non-négligeable sur le marché du travail de l’Alena.

Après avoir activé l’arrivée massive des immigrants et profité d’une main-d’œuvre à bon marché aux USA, pour éviter certains risques sociaux et des problèmes environnementaux tels que pollution, effet de serre etc… Les pays riches préfèrent transférer leurs productions vers les pays où la main-d’œuvre est à bon marché et l’organisation étatique plus malléable. Le capitalisme ne recule pas devant les moyens à employer pour renverser les obstacles.

La prolétarisation de la classe moyenne haïtienne, les assauts répétés contre la bourgeoisie nationale, la privatisation des entreprises d’Etat, l’abattage systématique des porcs créoles, base de l’économie rurale sous le fallacieux prétexte de la peste porcine, la démobilisation des soldats des FAD’H etc.. sont autant de séquences d’une chronique déjà annoncée mais qui échappe encore à l’entendement même de certains de nos hommes politiques.

Ce vaste complot est savamment programmé pour affaiblir la souveraineté nationale et faire d’Haïti un refuge idéal pour les firmes multinationales qui ont le droit, selon les clauses du Libre-Echange, de transférer aisément leurs profits vers leurs pays d’origine. Notre mort est peut-être lente mais on assiste certainement à l’agonie de l’Etat-Nation.

Jean Erich René
juillet 2005