AYITI

La journaliste : Nancy Roc
a fui son Haïti hantée

Par Marie Flore Domond

Nancy Roc
Nancy Roc : journaliste
Photo : courtoisie du reseauhem

On a beau remué cent fois, mille fois la souche des crises successives d’Haïti qui ne cessent de s’aggraver en signes de mauvais sorts sans réellement considérer l’aspect d’une malédiction héréditaire. Je parle du déséquilibre entre le monde réel et le monde surnaturel qui met continuellement en péril l’existence de chaque habitant de ce pays; comme s’il avait eu une étrange transgression qui a provoqué la contagion des lieux et une poursuite collective de punitions pour les êtres. Le pays est sous la proie d’une transformation radicale qui le transporte dans une dimension de sauvagerie, de barbarie et de cruauté excessive. Dire que les citoyens d’autrefois étaient reconnus pour leur hospitalité. A présent, la plupart sont réputés pour leur hostilité.

N’ayant pas touché le sol natal depuis plusieurs années, je m’étais toujours dit, mis à part des grandes agitations à caractère politique, en écoutant des histoires terrifiantes provenant de là-bas que cela tenait d’une certaine psychose peu fiable entretenue par des faits divers largement exagérés par extrapolation. Je m’en répands de cette incrédulité après avoir lu le témoignage de la Journaliste, Nancy Roc imprimé dans CHÂTELAINE du mois de novembre 2005 sous le titre: On a le goût de l’automne!

Ma première réaction était d’avertir les cœurs sensibles des dispositifs de cruauté presque diabolique du récit. Je me suis ravisée en me disant que c’était trop facile de s’enrouler dans le confort douillet quasi hypocrite de «l’âme sensible», car en réalité, être sensible c’est adopter le refus farouche à l’égard de l’indifférence, du je m’en foutisme en manifestant la compassion devant le désarroi, la souffrance et le malheur de nos semblables.

Haïti est-il un pays maudit? A quand l’enrayage ce pacte d’insécurité?

Voyez-vous, j’en suis à cette réflexion. J’ai vécu une fois de toute ma vie, l’expérience traumatisante de la maison hantée à l’occasion de l’Halloween. Et le tout s’est déroulé à Montréal. Aller voir pour pays hanté… Ce fut une désarmante mésaventure où les convives sont sous l’emprise du maléfice au cours de la soirée. Imaginer une vie de tyrannie! Une fois isoler dans l’enceinte, les malins esprits ont à cœur de mettre les nerfs des occupants à vifs. Ces persécuteurs de tous genres envahissent l’atmosphère du mystère au moyen de la peur, de l’épouvante.

L’histoire de la journaliste Nancy Roc est beaucoup plus macabre. C’est celle de sa vie hypothéquée contre son gré par des individus qui ont le diable manifestement dans leur corps, une attitude démoniaque. Ce sont des impitoyables malfrats, des individus démentiels, des bandits, des bourreaux de la chair humaine qui prennent plaisir à torturer, martyriser leurs victimes sans égard pour le sexe ou l’âge de leurs souffres- douleurs.

Une autre scène disgracieuse en comparaison

Cette image extraite de l’ouvrage: Haïti en péril de Jean-Serge Joseph et Éternel Victor, Essai, Kauss éditeurs, collection /diaporama paru en 1988, vous parait sans doute humiliante, oppressive, désolante, outrageante, indignante, effrontée de lâcheté. Par analogie à la description des événements que rapporte la journaliste, il existe pire que ça. En effet, il devient infernal d’être résidant à Port-au-Prince. Les citoyens atteignent carrément le fond du baril en matière de désespoir. Certains sont au bord d’un trépas moral définitif.

Haïti en péril
Haïti en péril de Jean-Serge Joseph et Éternel Victor,
Essai, Kauss éditeurs, collection /diaporama paru en 1988

Supplices et tortures infligés

La reproduction intégrale du témoignage n’est pas possible, cependant il est facile de vous communiquer la douleur des victimes. Parmi les nombreux méfaits soulignés, il y a cet acte odieux : les yeux d’un enfant plongés à jamais dans les ténèbres par les prédateurs d’innocence parce que ses parents ne pouvaient pas répondre aux exigences de la rançon. Les enlèvements se font à un rythme effréné et accompagnés d’une puissante et vive violence.

Des pertes inestimables

Toujours selon la journalistes, son quartier d’habitat: Fermathe est infesté de ces sanguinaires, ces assassins. Sa vie était constamment menacée puisqu’elle faisait enquête journalistique concernant la ruée des biens mal acquis perpétrés par des Kidnappeurs d’un imposant réseau de malfaiteurs de calibre international qui pataugent dans la pratique du stupéfiant. Ils étaient à sa trousse pour avoir repéré leurs quartiers généraux où ils opèrent en grande majorité: «Cité Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince, le quartier du Bel Air, la Plaine et Delmas 2,4 et 6.»

Comme mesure de sécurité, elle a dû faire appel à une entreprise privée de sécurité qui a posé deux gardes armés chez elle 24/24. Elle a eu notamment recours à trois rottweilers dressés pour tuer. Sans oublier une porte en fer forgé à l’entrée de sa chambre à coucher ajoute-elle. Lors d’une fusillade, un soir, sa maison était plongée dans l’obscurité et elle n’osait pas allumer la lumière de peur de se faire localiser. Elle a vécu ce cauchemar dans sa propre demeure. La propagande de son kidnapping commençait à faire écho. L’étau se resserrait de plus en plus sur sa marge de manœuvre car les rumeurs persistaient. Plusieurs voisins, amis et connaissances n’ont pas été épargnés. Ils sont brutalement passés dans l’au-delà. Mais la mort de son collègue journaliste Jacques Roche trouvé sur la route de Delmas lui inflige encore une grande peine. «Il a été kidnappé et torturé pendant quatre jours. Il a eu les bras disloqués, des marques de coups et de brûlures. On lui a arraché la langue et logé trois balles dans la bouche. Tous les gens qui me contacteront par la suite diront, à juste titre, que cela aurait dû être moi. J’apprendrai que la personne qui m’a «laissée filer» a été punie d’une balle dans la jambe et qu’ils étaient 35 hommes à m’attendre pour me violer et me torturer. Je l’ai échappé belle»

Réserve d’énergie et de courage : un privilège providentiel

Le moment est trop triste, les événement trop pénibles pour fredonner joyeusement la chanson du groupe BEAU DOMMAGE: Échappé belle. Par contre, il est de circonstance de vous inscrire une strophe en l’honneur de toutes les victimes et ceux qui ont risqué leur vie pour la journaliste Nancy Roc.

Refrain

Échappé belle alléluia !
A toutes celles pas faites pour moi
Échappé belle grâce à toi
Échappé belle…

Vous et moi, défenseurs des causes justes, est-ce trop demander que de l’aider à porter ce lourd fardeau ne serait-ce que moralement? Personnellement, j’ai pris connaissance de ses tourments, de ses malheurs les yeux remplis d’eau, la gorge compressée d’impuissance, de rage et d’indignation. Quelqu’un peut-il me prédire sans fausse alerte la date du jugement dernier! Je ne voudrais manquer cette occasion pour rien au monde. Car je serai curieuse de voir la face de tous ces insolvables sur le compte de l’humanité. Comment expliquez-vous que dans un pays catalogué parmi les plus pauvres de la planète, le prix exigé pour la rançon d’un otage se situe entre $ 20'000 et $ 250'000 dollars américains? Sommes-nous en 2005, une ère de grâce ou à l’an 2005 avant Jésus-Christ ? Pardonnez-moi toute cette confusion…