La Fondation
Connaissance et Liberté-Fokal veut absolument faire entendre
sa voix pour condamner avec la plus grande fermeté les actes
de brigandage d’une rare violence dont ont été
victimes le vendredi 5 décembre 2003, les étudiants/étudiantes
de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH) et de l’Institut
National de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI),
à Port-au-Prince.
Ce jour là, la proximité de notre Centre Culturel
de l’Avenue Christophe avec les deux facultés, mais
particulièrement avec la Faculté des Sciences Humaines
dont les locaux sont visibles à l’arrière de
notre propriété, nous a permis de voir, et, dans une
certaine mesure, de vivre, la terreur et l’horreur. En plus
de tout le personnel de Fokal et de la Bibliothèque Monique
Calixte qui a assisté à ce déchaînement
de haine, l’Attachée culturelle ainsi que le nouveau
Conseiller Culturel du Service de coopération et d’action
culturelle de l’Ambassade de France étaient, par coïncidence,
en visite de courtoisie à Fokal depuis 10:00h a.m. Comme
nous, ils ont vu et comme nous, ils ont été pris en
otage pendant toute la journée jusqu’ à 4h p.m.
Ce dont nous avons été témoin justifierait
donc, à lui seul, notre colère et notre indignation.
Mais notre prise de position vient également du fait que
Fokal est une institution qui depuis 1996 travaille principalement
dans le domaine de l’éducation. A ce titre, devant
le manque, et dans certain cas, l’insignifiance des ressources
accordées par l’Etat au budget de l’Université
d’Etat d’Haïti (UEH), et sachant le rôle
que joue l’Université dans la formation, la recherche
et par là même dans le devenir de la nation, Fokal
a soutenu les efforts de plusieurs facultés de l’UEH
en accordant des appuis à leurs bibliothèques, leurs
salles informatiques, leurs laboratoires, et également à
la mise en œuvre de certains programmes d’études.
Cela a été le cas pour la Faculté des Sciences
Humaines et, dans une moindre mesure, pour l’INAGHEI. Nous
ne pouvons pas nous taire lorsque des hordes lavalassiennes envahissent
ces Facultés en massacrant des étudiants/étudiantes,
en mutilant le Recteur de l’Université, en frappant
le Vice-Recteur et en saccageant certaines infrastructures que nous
avions aidé à construire.
Nous devons ajouter à cela qu’à Fokal nous
avons également mis en œuvre un petit programme d’aide
aux étudiants pour ceux et celles qui, faisant preuve d’un
bon dossier académique et désireux d’entreprendre
des études universitaires, n’en ont malheureusement
pas les moyens. Dans la mesure du possible, Fokal les aide à
se procurer les livres et autres matériels dont ils ont besoin
pour leurs études. Nous avons appris que certains de ces
étudiants ont été également victimes.
De notre local de l’Avenue Christophe, nous avons pu suivre
minute après minute, pendant plus de six heures, le fil des
évènements.
Ce matin là, dès 9heures a.m:
Nous avons vu des groupes de milices lavalassiennes, communément
appelées «chimères» se regrouper devant
notre local visiblement déterminés à attaquer
la manifestation d’étudiants prévue pour ce
jour-là.
Nous avons vu les armes qu’ils exhibaient, armes à
feu, matraques en bois et en fer, piques, pierres et toutes sortes
d’objets susceptibles de blesser et tuer.
Nous avons vu leurs chefs, hommes et femmes, armés eux-aussi,
équipés de walkie-talkies et de téléphones
portables, organiser et donner des consignes aux commandos qui
devaient attaquer les étudiants/étudiantes.
Nous avons vu la police, non pas impassible comme on dit qu’elle
l’a été devant les facultés, mais absolument
complice et, à plusieurs occasions pendant cette journée
de l’horreur et de la honte, ouvrir la voie pour que les
chimères attaquent, et aussi pour couvrir leurs arrières.
Nous avons vu des enfants de douze ou quinze ans, certains en
uniformes scolaires, utilisés par les milices lavalassiennes
pour lancer des pierres et attaquer les étudiants/étudiantes,
armes à la main.
Nous avons vu notre espace (non-bâti) envahi par la police
et les chimères, et nous avons assisté impuissants
à la mise à feu d’une petite maison inhabitée
sur une propriété qui appartient à Fokal
et à partir de laquelle on peut voir l’arrière
de la FASCH. Et lorsque l’incendie menaçant de se
propager et de nous détruire a été maîtrisé
par notre personnel avec l’aide des voisins, nous avons
vu les chimères revenir à la charge et se retourner
contre nous, nous accusant d’être complices des étudiants/étudiantes,
et dès lors, méritant que notre local et nos véhicules
soient également mis à sac et incendiés.
Nous avons dû nous enfermer dans notre local dont toutes
les issues ont été bloquées par les chimères
pendant près de 4 heures.
Nous avons vu les chimères mettre le feu une nouvelle fois
à la maison, et lorsque nous avons appelé le corps
des pompiers et vu arriver un camion pour éteindre l’incendie,
nous avons également vu le camion hésiter devant
l’entrée et repartir sans intervenir, intimidé
par les vociférations des chimères.
Nous avons vu les chimères envahir la Faculté des
Sciences Humaines, et nous avons imaginé ce qui s’y
passait en entendant cris et hurlements.
Le Centre Culturel de Fokal offre un service de lecture publique
par le biais de la Bibliothèque Monique Calixte. Par chance,
ce jour là, la bibliothèque était fermée
pour travaux d’aménagement. Autrement, nous aurions
pu avoir sous notre responsabilité, plus d’une centaine
de jeunes, écoliers et étudiants, venus étudier,
lire et apprendre dans un espace conçu pour eux. Nous sommes
donc d’autant plus indignés par cet acharnement contre
la connaissance et l’intelligence, contre l’accès
à l’information et à la culture offert à
une jeunesse sans ressources.
A quinze jours de 2004, nous sommes révoltés de l’utilisation
qui est aujourd’hui faite par le pouvoir d’enfants et
de jeunes à qui celui-ci enseigne la violence et la haine,
et entraîne délibérément sur les chemins
sans issue de la déraison et de la destruction. Nous renouvelons
notre foi dans la connaissance et le savoir, et nous continuerons
de lutter pour l’existence de bibliothèques, d’espaces
culturels libres dans notre pays, car nous sommes convaincus du
rôle incontournable de l’éducation et de la culture
dans la construction d’une société juste, solidaire
et démocratique en Haïti.
Port-au-Prince, le 8 décembre 2003
Pour le Conseil d’Administration :
Dr. Daniel Henrys, Vice-Président
Pour la Direction :
Michèle D. Pierre-Louis
Directrice
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