«La région Caraïbe est aujourd’hui à un tournant de son développement linguistique parce qu’elle est à un tournant de son développement économique et social. Sous l’effet conjugué du prestige socio-économique de l’anglais et de l’attraction des Etats-Unis tout proches, la langue anglaise est privilégiée dans ce développement. Mais le fait nouveau est qu’elle n’est plus seule en course. Car on relève aussi une volonté de promotion de la pluralité linguistique, qui préserve et relance le rôle des îles francophones de l’archipel, sur la base d’une reconnaissance de la réalité plurilingue de l’espace caraïbe et des exigences d’un projet identitaire régional».
C’est par ces mots, riches de sens et aujourd’hui au cœur de nos préoccupations, que mon collègue Patrick DAHLET, de l’UAG, introduisait son article intitulé «Adhésion à la diversité et qualifications francophones dans la Caraïbe», publié en 2000 dans le revue québécoise (revue en ligne), DiversCité Langues.
Il est bien vrai que la diversité linguistique et culturelle est une caractéristique essentielle de la Caraïbe actuelle: diversité des sources culturelles (amérindiennes, africaines, européennes, asiatiques ou levantines), diversité des usages linguistiques (anglais, créole, espagnol, français, néerlandais, tamoul, créoles), diversité des statuts accordés à ces langues, tour à tour vernaculaires, véhiculaires, officielles ou non, selon que l’on reconnaisse un bilinguisme institutionnel, comme aujourd’hui en Haïti ou que l’on se situe pragmatiquement, comme dans beaucoup de pays, dans un contexte situationnel multilingue.
Ce qui a changé aujourd’hui, par rapport aux situations antérieures, c’est que cette diversité n’est plus considérée comme une tare, mais comme un élément à prendre en compte dans le processus de construction d’une communauté caribéenne qui est en train de se mettre en place.
L’accentuation de la coopération entre Etats de la Caraïbe et la recherche d’une identité communautaire sont conditionnées par la maîtrise et l’utilisation de plusieurs langues. Tel est l’objectif que se donna l’AEC (Association des Etats de la Caraïbe) dès 1998 dans un document émanant de son Conseil des Ministres et dans lequel était exprimée la volonté «d’éliminer les barrières de langues au sein de la région en améliorant la compétence des ressortissants de la Caraïbe en une seconde et même troisième langue».
Cette déclaration s’accompagnait de la définition de sept objectifs qui pourraient bien encore être les nôtres aujourd’hui, notamment pour ce qui est de l’enseignement/apprentissage du français dans la zone qui nous intéresse :
- Intégrer la dimension culturelle à l’enseignement des langues.
- Soutenir l’enseignement précoce des langues vivantes.
- Favoriser la mobilité des enseignants et des étudiants au sein de l’espace caribéen.
- Améliorer la formation des enseignants.
- Faire appel aux nouvelles technologies et élaborer des matériaux multi-média.
- Définir des compétences linguistiques professionnelles.
- Etablir un schéma régional de certification en liaison avec des organismes professionnels du monde des affaires et de l’industrie.
Depuis le 25 mars 2004, grâce à l’initiative du SCAC de Sainte-Lucie et aux efforts du directeur de l’Alliance française de Roseau (Dominique), soutenu par le réseau des Alliances françaises de la zone caraïbe, grandement aidé par l’association des professeurs de langues vivantes de La Dominique, il est plus facile qu’avant de dresser un état de la francophonie dans cette partie du monde.
En effet, du 25 au 28 mars 2004 a été organisé à Roseau le Premier Colloque des Associations de Professeurs de Français dans les Petites Antilles (OECS). Chaque pays de l’OECS y était représenté par trois professeurs de français, ainsi que par l’ensemble des conseillers pédagogiques, sans oublier des représentants des ministères de l’Education nationale, les cinq directeurs d’Alliance française de la zone ainsi que les représentants de l’AIF de Sainte Lucie et de La Dominique, pays membres de l’OIF.
Cette rencontre, à laquelle participaient également des représentants des rectorats de Guadeloupe et de Martinique ainsi que de l’UAG (ISEF et BRI) a permis de faire le point, pays par pays, et de dresser un bilan des projets en cours, des problèmes à régler et, surtout, des actions à entreprendre en faveur de la diffusion de la langue et de la culture francophones dans un espace où le français est en étroit contact avec le créole, l’anglais et l’espagnol. La première remarque importante qu’il faut faire est la nécessaire cohésion (et même cohérence) des partenaires engagés. Il s’agit d’abord, dans tous les pays concernés, des ministères de l’Education nationale, chargés de mettre en œuvre des politiques linguistiques et d’enseignement prenant en compte la diversité linguistique et culturelle, ce qui est partout le cas, mais également des associations de professeurs de français, toutes proches du terrain, parfois malheureusement bien éloignées de l’association mère, je veux parler de la FIPF.
Il s’agit enfin des Alliances françaises, soutenues jusqu’à présent non seulement par ces associations, mais aussi, selon des modalités qui sont en train d’évoluer (il faudra en parler), par le ministère français des Affaires étrangères. On ne pourrait pas passer sous silence, le rôle important que jouent les rectorats des DFA dans la mise en place des divers dispositifs imaginés pour améliorer l’enseignement/apprentissage du français dans cette zone. On parlera, par exemple, des voyages pédagogiques organisés pour favoriser la mobilité des élèves et les échanges entre enseignants, plus particulièrement avec la Guadeloupe à ce jour. Par ailleurs, des contacts ont été pris avec les trois rectorats des DFA pour accentuer l’envoi d’assistants d’anglais issus des pays de l’OECS qui seraient peut-être plus opérationnels que leurs jeunes collègues venus d’Irlande ou d’Ecosse, toujours surpris par le bruit du vent dans les palmes des cocotiers.
Enfin, le tableau ne serait pas complet si l’on ne parlait pas des liens très étroits, en particulier dans les domaines de la formation linguistique et didactique des enseignants, qui unissent l’université des Antilles et de la Guyane (et notamment l’ISEF) avec la plupart de ces pays qui font de l’enseignement/apprentissage du français une de leurs priorités. Dans tous ces pays, l’accent est mis de façon très forte et parfois très originale sur un enseignement conjoint, j’aurais même envie de dire consubstantiel, de la langue et de la culture françaises, au sens le plus large du terme, c’est-à-dire francophones, évidemment. Partout, en zone caraïbe, le français est considéré par les autorités politiques et éducatives qui prônent le développement de son enseignement comme une langue d’échanges entre hispanophones, anglophones , francophones et , évidemment, créolophones.
On pourrait donner quelques chiffres très rapidement même s’ils ne concernent pas exclusivement des Etats non encore membres de l’OIF: plus de 1000 élèves apprennent le français à Saint Kitts et Nevis. L’association de La Dominique (membre de l’OIF) qui regroupe des professeurs de français et d’espagnol compte plus de 50 membres et 25% des élèves de La Dominique apprennent le français en classe (soit, au total, près de 3000 élèves). Lancé en 1995, l’enseignement du français à Sainte Lucie (également membre de l’OIF) est présent dans une trentaine d’établissements pour le seul enseignement élémentaire qui regroupent près de 4000 élèves à partir du Grade 4, c’est-à-dire de la quatrième année d’enseignement.
Les pédagogues et les méthodologues s’intéresseront de très près, j’en suis convaincu, aux modalités de l’enseignement du français à l’école élémentaire, tant à La Dominique qu’à Sainte Lucie où deux enquêtes sont en cours, confiées à l’ISEF, grâce au soutien du SCAC de Sainte Lucie. Pourquoi? Parce qu’il s’agit d’un enseignement d’imprégnation (entre 30 et 40 heures de cours par an pendant trois années) aux objectifs originaux, mais néanmoins bien précis: comment donner le goût de l’Autre, en français, à des élèves soumis à la pression de l’anglais, mais si proches (à tous points de vue) du monde francophone? Bien sûr, cette politique est difficile à mettre en place: la formation linguistique et pédagogique des maîtres doit être assurée (et c’est une des missions de l’ISEF), mais encore faut-il élaborer des outils (qui manquent encore cruellement) adaptés à ces objectifs si particuliers. Tous ces problèmes sont loin d’être résolus, mais si nous sommes aujourd’hui réunis ici, c’est bien pour trouver ensemble des solutions réalistes.
A ce propos, beaucoup d’observateurs de l’état de l’enseignement du français en zone caraïbe ont, à maintes reprises, tiré la même sonnette d’alarme. En effet, dans de nombreux pays de la zone, le français est aujourd’hui parfois devancé par l’espagnol (même si, au total, pour l’ensemble de la zone, le français est encore en tête avec 37'000 apprenants de FLE contre 27'000 à l’espagnol), langue jugée par certains plus «facile» que le français. Mais ce n’est pas la seule raison qui est invoquée: on dit aussi que les cours d’espagnol sont gratuits, par exemple, à l’institut vénézuélien de Castries, qu’il est plus facile d’obtenir une bourse pour Cuba que pour Fort-de-France, etc.
Il ne s’agit pas, ici, de déclarer la guerre à l’espagnol, pas plus qu’à l’anglais, mais de tout mettre en œuvre pour que l’enseignement du français se développe dans de meilleures conditions, en répondant aux besoins réels de ceux qui font le grand effort de s’y atteler, aussi bien du côté des décideurs que de celui des utilisateurs de la langue. Dans la synthèse qu’il prononça lors de la clôture du premier colloque régional des professeurs de français auquel je faisais allusion en commençant, l’attaché culturel près l’ambassade de France à Sainte Lucie soulignait «la relative fragilité des dispositifs existants» et «le nécessaire renforcement de la coopération régionale en prenant appui sur l’université des Antilles et de la Guyane et sur les rectorats de la Guadeloupe et de la Martinique».
Le colloque de Roseau a permis, comme celui de Libreville (auquel, en quelque sorte, il fait suite!) consacré en mars 2003 à la situation de l’enseignement du français en Afrique francophone, de dresser une espèce de cahier de doléances (on peut, en effet, filer la métaphore révolutionnaire puisqu’à Libreville on a parlé d’Etats généraux), proposant un ensemble de dispositions de nature à faciliter l’exercice du métier d’enseignant de français.
J ’en reprendrai ici quelques-unes, susceptibles de nourrir notre réflexion au cours des jours de labeur qui nous attendent :
- Obligation pour les établissements du secondaire d’assurer l’enseignement du français pendant toute la durée du secondaire pour les élèves qui le souhaitent.
- Rendre le français obligatoire à l’examen de fin d’études du 1er cycle secondaire, le fameux CXC (« Caribbean Examination Council »), voire au « Level ».
- Réviser les programmes et les méthodes.
- Améliorer la formation des enseignants.
- Faciliter l’accès à de nouvelles ressources, telles que TV5 et RFI.
- Relancer les échanges avec les trois DFA.
Dans l’espace sociolinguistique et didactique caribéen, il ne faut surtout pas oublier Haïti qui occupe une place centrale, à tous points de vue. D’abord parce qu’il s’agit du pays, de très loin, le plus peuplé de la zone et qu’il pèse donc d’un poids très fort en Francophonie et ensuite parce qu’il est, depuis de très nombreuses années, le lieu de nombreuses réformes, en matière de politique linguistique et éducative, dont on ne peut pas ne pas tenir compte aujourd’hui, même si, pour des raisons qui n’ont souvent rien à voir avec la pédagogie, elles n’ont pas encore contribué à améliorer la situation de l’enseignement haïtien en général, et de la langue française dans ce pays en particulier.
N’oublions pas que dès 1979, le créole fut introduit dans les programmes et les curricula d’enseignement et que depuis 1987 il est devenu, aux côtés du français, la seconde langue officielle de la République haïtienne. Ces deux décisions capitales, au plan politique (et qui font d’Haïti - au sein de l’aire francophone - l’un des pays les plus avancés en matière de politique linguistique et éducative), n’ont malheureusement pas empêché le système éducatif haïtien de se détériorer au fil des années: taux de scolarisation largement insuffisant, analphabétisme et illettrisme en forte augmentation, inégalité de traitement éducatif entre filles et garçons, grande déperdition scolaire, forte disparité entre établissements privés (qui représentent près de 85% du système) et publics, démotivation des élèves, etc. Depuis quelques années, des programmes, soutenus par le SCAC, sont en cours, dans lesquels l’UAG est fortement impliquée (notamment par l’intermédiaire de l’ISEF mais aussi du département de LCR), pour remédier à cette situation. Il s’agit de la mise en place du CAEF, en liaison avec l’ENS de Port-au-Prince et, bientôt (dès la prochaine rentrée universitaire), toujours en liaison avec l’ENS, mais aussi avec la FLA, de la délocalisation d’une maîtrise de FLS qui devrait permettre de former les futurs formateurs qui se destinent à servir aussi bien dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement élémentaire.
Ce projet d’appui au système éducatif haïtien ne doit pas s’arrêter là. En effet, il doit être étendu en priorité à la formation, sur le terrain, des cohortes d’instituteurs actuellement trop souvent abandonnés à leur triste sort, qu’il s’agisse des maîtres chargés d’enseigner le créole (un bon créolophone n’est pas nécessairement un bon enseignant de créole!) que de ceux qui enseignent le français. L’éducation de base doit redevenir une priorité de la politique éducative haïtienne et, là encore, l’UAG est prête à intervenir avec tous les partenaires qui le souhaiteront: IUFM, rectorats, CASNAV, sans oublier le bureau régional de l’AUF déjà fortement impliqué dans des recherches innovantes et dans des expériences pilotes dans le cadre de partenariats avec le SCAC de Port-au-Prince et l’UAG.
Comme dans les autres Etats de la zone caraïbe, des actions doivent être conduites, de manière complémentaire, pour améliorer les outils didactiques au service des enseignants, conçus selon les grands principes didactiques bien connus tels que: l’intégration des didactiques de la langue maternelle et du français (priorité à la lecture et à l’écriture) et la définition d’une didactique du français langue seconde, prenant en compte les besoins fondamentaux qui conditionnent tout enseignement/apprentissage de ce type, c’est-à-dire le besoin d’information, le besoin de communication et le besoin d’imaginaire sans lequel aucun locuteur du français langue non maternelle ne parviendra jamais à s’approprier cette langue. C’est quand elle aura réussi à ranimer son système éducatif que la République d’Haïti mettra un terme à l’hémorragie sociale qui la vide de ses forces vives (plus de deux millions d’Haïtiens vivent aujourd’hui à l’extérieur de leur pays). Je ne peux m’empêcher, pour en finir avec cette brève présentation de la situation dans ce pays, de vous citer quelques questions et suggestions posées et formulées par Pradel POMPILUS dans le numéro spécial de la revue Esprit consacré en novembre 1962 à la langue française:
« Quel est l’avenir du français d’Haïti, langue adoptive, face à tant de concurrents? Il ressort assez nettement de nos observations précédentes que, isolé et si éloigné de son foyer de rayonnement, parlé seulement sur la marge de la population du pays, si peu lié aux activités pratiques de l’Haïtien moyen, si lentement répandu par l’école qui s’y emploie d’ailleurs avec mollesse et avec des méthodes inadéquates (...), le français est exposé à tous les avatars que peuvent susciter les accidents historiques de caractère interne ou international. (...) La survie du français ne se produira pas sans quelques efforts. Il faudrait que la présence de la France se manifeste non seulement dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, mais aussi dans l’enseignement technique, dans l’assistance technique, en un mot partout où l’Haïtien lutte pour vaincre sa faim et sa nudité».
Un exposé introductif comme celui que je suis en train de vous proposer serait incomplet sans une prise en compte, à la fois politique, sociolinguistique et didactique de la situation des DFA, qui représentent plus de 750'000 locuteurs vivant dans un environnement linguistique bilingue, voire multilingue pour ce qui est de la Guyane. Le créole et le français sont couramment pratiqués par la grande majorité des populations, mais seul le français a le statut de LO, et donc de langue de référence pour la scolarité.
L’extrême intrication des deux langues dans les pratiques langagières des locuteurs rend caduc l’emploi de l’expression consacrée «langue maternelle» (au demeurant déjà fortement remise en question par le Secrétaire général de l’OIF lors des Etats généraux de Libreville) à laquelle, pour le français je préférerai celle de «langue commune». Faisant encore une fois de cette situation de plurilinguisme bien plus une force qu’une faiblesse, les DFA sont en train de devenir des centres d’excellence en matière d’enseignement/apprentissage du français dans toute la zone caraïbe: les formations, initiales et continuées, tant en FLE qu’en FLS, se multiplient d’abord au sein de l’Université (au sens le plus large du terme puisqu’il faut inclure ici, outre les actions de l’ISEF qui ne cessent de se développer, les travaux conduits en Guyane pour l’élaboration de matériaux pédagogiques destinés aux élèves des classes primaires en liaison avec des équipes hexagonales spécialisées en FLE et FLS), mais aussi au sein d’organismes comme l’AFPA qui est en train de proposer un programme de préparation au DELF et au DALF. Déclarer, comme je viens de le faire que les DFA doivent devenir, pour la Zone caraïbe, des centres d’excellence en matière d’enseignement/apprentissage du français n’est pas le vœu pieux d’un universitaire déconnecté de la réalité, mais l’affirmation d’une obligation morale susceptible de faire de ces DFA des centres de formation, initiale et continuée et des centres de ressources et d’élaboration d’outils didactiques adaptés à une situation très particulière. Ce n’est pas de Besançon, de Montpellier ou de Strasbourg que nous viendront les solutions. C’est ainsi, pour prendre un seul petit exemple, qu’à la notion de compétence de communication, insuffisamment opérationnelle aujourd’hui dans le contexte caribéen, pour les raisons que j’ai tenté de dégager, doit se substituer celle de compétence de communication plurilingue qui, sans récuser la productivité de la première l’intègre au dynamisme du jeu des langues.
C’est déjà dans cet esprit que plusieurs de nos étudiants, inscrits sur le campus de Schœlcher au DEA bloqué sur cinq semaines (DEA Caraïbe, Amériques Latine et du Nord, sciences du langage, option didactique du FLE/FLS) consacrent leurs mémoires à la conduite et à l’analyse d’enquêtes menées sur les pratiques et les représentations des langues en contact chez les locuteurs antillais et guyanais. Nous avons tous du «pain sur la planche» et, pour réussir nous aurons tous besoin les uns des autres. Tel est l’appel que je veux lancer aujourd’hui aux grandes instances de la Francophonie qui nous réunissent ici pour lancer un processus de réflexion et de concertation sur l’état des lieux de l’enseignement du français et des politiques linguistiques en Francophonie. L’enjeu est essentiel pour tous, comme nous le rappellent Jean BERNABE, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT dans l’un des passages les plus forts de leur Eloge de la créolité: «La créolité n’est pas monolingue. Elle n’est pas non plus d’un multilinguisme à compartiments étanches. Son domaine c’est le langage. Son appétit : toutes les langues du monde. Le jeu entre plusieurs langues (leurs lieux de frottements et d’interactions) est un vertige polysémique. Là, un seul mot en vaut plusieurs. Là, se trouve le canevas d’un tissu allusif, d’une force suggestive, d’un commerce entre deux intelligences. Vivre en même temps la poétique de toutes les langues, c’est non seulement enrichir chacune d’elles, mais c’est surtout rompre l’ordre coutumier de ces langues, renverser leurs significations établies. C’est cette rupture qui permettra d’amplifier l’audience d’une connaissance littéraire de nous-mêmes».
Qu’il me soit permis, aujourd’hui, d’aller encore plus loin que la «simple littérature» et de souhaiter que notre diversité linguistique et culturelle, loin d’être un handicap, soit pour nous le ferment d’une nouvelle philosophie de l’Education à la source d’une nécessaire et urgente refondation de nos systèmes éducatifs.
Pierre Dumont
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