Parallèles N°18, 1966, pp.11-20.
Mensuel des Antilles Françaises
Guadeloupe Martinique
Le conte de Dame Nicolas
Conte recueilli en 1952 à Terre-Sainville par
Anca Bertrand.
Traduit directement en français au fur et
à mesure de l’écoute

Coq
Mosaïque romain, Aquileia. Photo F.P.

Dame Nicolas

Dans une vieille maison en bois, près d’un pied d’amanas, il y avait une belle jeune fille qui vivait avec sa maman.

Un jour; elle vit arriver un cavalier habillé tout en argent et se mit à chanter:

Maman, maman, Dame Nicolas,
Mi en missié, Dame Nicolas,
Ki ka vini, Dame Nicolas,
Tout en argent, Dame Nicolas!

La maman regarda et répondit à sa fille que ce n’était point un vrai cavalier, mais le Diable. Elle fit le signe de la croix et le Diable disparu sur le champ.

Le second jour, la jeune fille vit arriver un plus beau cavalier que la veille, tout en or, et elle se mit à chanter:

Maman, maman, Dame Nicolas,
Mi en Missié, Dame Nicolas,
Ki ka vini, Dame Nicolas,
I tout en or, Dame Nicolas!

Mais la maman aperçut le sabot fourchu du Diable et fit le signe de la Croix; le cavalier disparut sur le champ.

Le troisième jour, alors qu’elle était à sa fenêtre, la jeune fille vit un cavalier encore plus beau. Ses habits étaient pleins de lumière et il resplendissait comme un soleil.

Maman, maman, Dame Nicolas,
Mi en missié, Dame Nicolas,
Qui ka vini, Dame Nicolas,
Tout en djamants, Dame Nicolas!

Les beaux habits «brûlèrent» les yeux de la Maman, et elle accepta le cavalier, qui était venu demander la fille en mariage.

La noce fût vite faite et dès le lendemain, on prépara une carriole avec des vivres et des cadeaux, car le mari désirait partir sur ses terres, où il avait plusieurs habitations.

Ils partirent et, le premier jour, le mari mangea tous les vivres d’une semaine. Le second jour, il mangea un cheval. Le troisième jour, il mangea le second cheval.

Ils firent la suite du chemin, à pied, jusqu’à la mer. Le mari avait tout le temps faim et mangeait les racines, les écorces des arbres, les mangues avec leur peau.

Ils prirent un canot.

Après des jours et des jours, ils arrivèrent au pays du mari, tout brûlé et tout sec, comme la Savanne des Pétrifications. Une cloche chantait:

Dongo, dong
Ici, c’est pays Moudong.
Dongo, dong
Moune pa ka vini ici!

Le premier jour, le mari annonça à sa femme qu’il allait sur ses habitations, qu’elle devait rester à la maison, soigner bien son coq et garder des clés, Et il se mit à chanter :

I baille la clé ta la
I di ba-Y
Ouvè ta la !
Pa ouvè ta la !
Ouvè ta la !
Pa ouvè ta la !
Ouvè ta la !
Pa ouvè ta la !

Le mari partit, et la jeune femme resta à la maison, soigna le coq et n’ouvrit que les portes que son mari lui avaient permises.

Le soir, quand le mari arriva, il trouva que sa femme avait bien obéi; il causa avec le coq; le coucha dans sa «caloge».

Au second jour, la vielle cloche se mit à chanter, après le départ du mari:

Dongo dong,
Ici cé pays Moudong
Dongo Dong,
Moune pa ka re’té ici !

C’était la maman du Diable, que celui-ci avait transformée en cloche. Or, la maman du Diable avait pris en pitié la jeune femme et elle chanta tant, que la jeune femme s’approcha de la cloche. Alors, la maman lui dit qu’elle avait épousé le Diable et que le coq était son second fils, le frère du Diable, que le Diable allait loin chercher ses épouses, qu’il les engraissait et les mangeait. Et si elle ne la croyait pas, qu’elle n’avait qu’à ouvrir les portes que son mari lui avait interdites. Mais avant il fallait donner au coq du maïs avec des clous, car il racontait tout à son frère chaque soir.

Le jeune femme prit alors du beau maïs et le mélangea avec des ti-clous. Le coq mangea le tout en trois becquées:

gloukoukassaïam !
gloukoukassaïam !
gloukoukassaïam !

Ensuite, la jeune femme prit les clés et ouvrit les portes interdites. Elle vit dans la première chambre un tas d’os, dans la seconde chambre, une robe de mariée, dans la troisième une femme pendue, toutes sèches, dans la quatrième, un gros coutelas.

Alors, elle prit peur et courut jusqu’à la plage où était le canot du Diable. Elle le prit et s’enfuit chez sa maman.

Quand le Diable vint le soir, il ne trouva pas sa femme mais touts les portes ouvertes. Son coq était si gros et la gorges si pleine de maïs et de ti-clous, qu’il ne pût rien raconter.

Il courut à la plage et ne vit plus son canot. Or le Diable ne peut aller à la nage car l’eau de mer brûle sa peau. Il prit son coutelas et coupa une beau gomier et il fit un canot.

Avec son canot, il arriva à la case de sa belle-mère et demanda où est sa femme. Mais sa belle-mère lui répondit qu’elle n’avait jamais vu sa fille, qu’elle croyait être avec son beau fils. Le diable, s’en alla, et on ne le vit plus jamais.

Pendant ce temps, la jeune fille avait été chez sa maman, qui l’avait envoyé dans un autre pays, où sa fille avait trouvé un autre mari.

Et le conteur de ce conte avait été à la seconde noce et y avait mangé, bien bu (pas comme ce soir) et bien dansé. Même qu’il avait perdu son chapeau. Qu’il cherche toujours et ce soir, il est venu dans l’assemblée présente conter le conte et chercher son chapeau, si jamais quelqu’un l’avait trouvé.