Paul Baudot, Oeuvres créoles,
Traduction et préface de M. Maurice Martin,
2e édition, Basse-Terre, 1935, 230 p.
Fables
 

Paon, Pavo cristatus. Photo F.P.

Les animaux nobles

Longtemps, dans temps jadis, quand toutes zanimaux
Té tini la parole, yo té fiès et fiscaux,
Assoliment tant con des mounes moin connaîte
Qui té vlé changé peau pou yo pas té paraître
Au clai ça yo té yé. Té tini à gogo
Qui té ka combiné pou papa, maman yo
Et bizaiël à yo té sòti dans grand race,
Pou té paraite nobe et monté dans grand place
Tant con bien dés béquets. Alos et pou los don,
Lapin, Macaque et Pan, Bouriquett et Dindon,
Mouton et Léopad té metté dans gazettes,
Yo té nobes, tout sels, dans mitan toutes bêtes.
Macaque té nommé-li : “Gros mouché li Baron ”;
Bouriquett signé : “ Li Comte Aliboron”;
Dindon coupé nom-li, gonflé con gnon gros coffe;
Ente d et i là, li fou gnon l'apostrophe;
Mouton nié papa li; à Paris, li fouquant
Dans gnon bireau outi, pou gnon pougni l'agent,
Yo ka changé nom ou : moyen malpropre, ignobe
Li rotirier ka pouan pou li divini nobe.
Alos yo nommé-li : “ Vicomte Moutonné.”
Pa blazon cètifié, soué disant li té né
D’un maman dont auquel qui té sòti dans fesse
A mouché Jipitè, hiche à gnon grand déesse,
Léopad pouan aussi : li dit li pa bâtad;
Li chicaillé nom li et signé : “ Le Opad ”,
En soutinant fièment, firié, en côlè,
Cé con ça nom à li écrit dans ditionnè.
Sitôt chien tendé ça, li commencé japé;
Li dit li nobe aussi, tite à li pas râpé;
En donnant nom à li, avè gnon grand l'adresse
Li metté gnon gros “ de ”, signe de la noblesse :
“ De Chien ! ” ça té joli ! ! ! Apoué ? et pouquoé pas ?
Est-ce que chaque jou, dans gnon semblabe cas,
Moune pas ka tombé tout aussi bien qui bète ?
Différence ? n'a point : Taupin vaut bien Maurette,
Quant à Gouti, li dit : “ Moin, moin bien plis qui yo;
“ Noblesse à moin ka pouan dépi dans temps Colo.
“ Pas tini dé con moin pou batte la conette,
“ Et qui, apoué nom-li, tini li doit di mette
“ Li nom à pays-là auti li habitant. ”
Aussi li ka signé : “ Gouti de Baillargent ”.
Lambi, li fè autant; li nobe pa patente.
Li dit et li signé : “ Jean Lambi de Bouillante. ”
Lapin, çu ti vanta, et Pan, idem dito,
Yo té metté gnon Li en douvant nom à yo :
“ Li Lapin ” et “ Li Pan ” ! ! ! ça té vouément caucasse,
Mé ça pas té nouveau; yo té suive la trace
Là ou est-ce bien dés gens té passé douvant yo.
Fo avoué, més amis, yo toutes bien nigo;
L'ambition fè yo tombé dans la folie.
Yo magnè pas savé la noblesse jolie
En ni quand cé la glouère et lés bels sentiments
Qui ka pôté nom ou dans dés grands vantements.
Talents sels ka datés pou monté dans grand place,
Et pas bisoin pon ça ou sôti dans grande race.
Napoléron pouimié, gnon pitit zofficié,
Avè cabèche à li, montré ça li té yé.
Mi, ente mounes et bêtes, auti la différence ?
Yo toutes cé ouan ouan, ici tant con la Fouance.
Dépi nous nés natifs, la vanité, l'ogueil,
Hélas ! ka touffé-nous jisque dans fond cècueil;
Hélas ka fè nous oublié, con gnon rève
Que papa, maman-nous, cété Adam et Eve,
Désanoblis en plin d’in tigmate étènel
Qui coincé-yo dans li péché originel.
Apoué tout ça, faudra, nous à beau dit et fè,
Qui nous soué noble ou non, nous tout allé en tè.

Longtemps, au temps jadis, quand tous les animaux avaient la parole, ils étaient fiers et orgueilleux. Absolument comme bien des gens que je connais qui voulaient changer de peau pour ne pas paraître au clair ce qu’ils étaient. Il y en avait beaucoup qui combinaient pour que leur papa, leur maman leur bisaïeul sortissent de grand race, pour paraître noble et monter en grandes places comme bien des blancs.

Alors et pour lors donc, Lapin, Macaque et Paon, Bourriquet et Dindon, Mouton et Léopard, avaient mis dans les gazettes qu’ils étaient seuls nobles, parmi toutes les bêtes.

Macaque s’était dénommé: “Gros Monsieur le Baron”; Bourriquet signa: “Le Conte Aliboron”; Dindon scinda son nom, gonfla comme un gros coffre; entre d et i, mit une apostrophe; Mouton renia son père; à Paris, il foutut le camp dans un grand bureau où, pour beaucoup d’argent, on change votre nom: moyen malpropre, ignoble que prend le roturier pour devenir noble. Alors on le nomma: “Vicomte Moutonné.” Par blason certifié, soit disant qu’il était né d’une maman sortie des fesses de Monsieur Jupiter, fils d’une grande déesse; Léopard cria aussi: il dit qu’il n’était pas bâtard, coupa son nom et signa: “Le Opard”, en soutenant fièrement, furieux, en colère que son nom était ainsi écrit dans le dictionnaire.

Dès que chien l’entendit, il commença à japper, il se dit noble aussi et son titre intact en donnant son nom, avec une grande adresse il mit un gros “de”, signe de la noblesse: “De Chien!” c’était beau!!! Après? pourquoi pas? Est-ce que chaque jour, dans un cas semblable, les gens ne tombent pas aussi bien que les bêtes? Différence? Il n’y en a point: Taupin vaut bien Maurette. Quant à l’Agouti, il dit: “Moi, je suis bien plus qu’eux; “Ma noblesse remonte au temps de Colo. “Il n’y en a pas deux comme moi pour batire la cornette,“ Et qui, après son nom, ait le droit de mettre “Le nom du pays qu’il habite.” Aussi, il signe: “Agouti de Baillargent.” Lambi en fit autant, le noble par patente. Il dit et signa: “Jean Lambi de Bouillante.” Lapin, ce petit vantard, et Paon, de même, avaient mis un “Le” devant leur nom: “Le Lapin” et “Le Paon”!!! c’était vraiment cocasse, mais ce n’était pas nouveau; ils avaient suivi la trace où bien des gens avaient passé avant eux.

Il faut avouer, mes amis, qu’ils sont tous bien nigauds; l’ambition les a rendus fous. Ils ne savent donc pas que la noblesse est jolie que lorsque c’est la gloire et les beaux sentiments qui portent votre nom aux grands honneurs. Les talents seuls comptent pour entrer en grande place, Et il n’est pas besoin, pour cela , de sortir de grande race.

Napoléon premier, un petit officier, avec sa tête, montra ce qu’il était.

Tenez, entre les gens et les bêtes, où est la différence? Tous sont les mêmes, ici comme en France. Depuis notre naissance, la vanité, l’orgueil, Hélas! nous étouffent jusqu’au fond du cercueil; Hélas! nous font oublier comme un rêve, que nos père et mère étaient Adam et Eve, désanoblis en plein par un stigmate éternel qui les jetta dans le péché originel.

Après tout cela, il faudra, nous aurons beau dire et faire, que nous soyons nobles ou non, aller tous en terre.