Ain jou bon matin, comper Lapin lévé é li senti la faim apé ga-
gnin li. Li charché tou côté dan cabane, li pa trouvé aïen pou
manzé. Li parti couri côté comper Bouki. Tan li rivé, li oua
comper Bouki apé guignoté ain dézo.
“Hé, comper Bouki, mo té vini dijiné avé toi; mo oua to pa
gagnin famé kichoge pou donne moin.
“ Tan dir, comper Lapin ; na pi ration dan cabane, jiche dézo
cila ki rété. ”
Comper Lapin zonglé tan.
“ Hé ben ! comper Bouki, si to oulé, na couri la chaché dézef
torti.
“ Topé ! anon, nou couri tousouite. ”
Comper Bouki pranne so pagnin avé so lapioce, é yé parti couri
coté bayou dans diboi.
Comper lapin, mo pas souvan couri la chache dézef torti ; mo pa
boucou konin trivé yé ben.
“ Pa kété, comper Bouki ; mo tou tan trivé place coté torti pondi
dézef. Toi, ta fouyé yé. ”
Can yé rivé au ra bayou, comper Lapin marcé douceman, apé
gardé ben, côté ci, coté là. Bento li rété drette.
“ Comper Bouki, torti cré li malin. Li graté la té avé so gro pate
é li pondi so dézef dans trou ; pi li mété ti brin sabe on yé, é pi li
parpillé feille on so ni. To oua bite cilà ? Oté feille layé, é graté avé
to lapioce ; sir ta trivé dézef. ”
Comper Bouki fè ça comper Lapin di li, é yé oua ain ta dézef
apé cléré dan trou là.
“ Comper Lapin, to malin passé moin ; mo ben contan gagnin toi
pou mo zami. ”
Comper Lapin patagé dézef yé, li donin la moké à comper Bouki.
“ Comper Bouki, mo boucou faim, mapé manzé porté mo kenne dézef
tousuite.
“ Fé com to oulé, comper Lapin, moin mapé porté mo kenne cote
mo fame, pou fè yé tchi. ”
Yé couri plin enco é yé trivé plin dézef. Comper Lapin touzou
manzé so kenne ; comper Bouki pa lémin dézef cri ; li mété yé tou
dans so pagnin. ”
“ Comper Bouki, mo comancé lasse ; mo cré tan nou tournin.
“ Mo gagnin acé dézef pou zordi, comper Lapin ; anon, nou
tournin. ”
Tan yé té apé couri divan, comper Lapin zonglé li même :
“ Comper Bouki pa conin trivé dézef torti ; cé moin ki trivé yé,
yé té doi tou pou moin. Fo mo fé mékié pou gagnin yé. ”
Tan yé proche rivé divan, comper Lapin di :
Comper Bouki, mo blié porté dézef pou mo vié moman. To té doi
ben prété moin ain douzaine ; ma ranne toi yé ain lotte foi. ”
“ Comper Bouki donne li ain douzaine, é yé couri chakenne so
chimin. Comper Lapin couri mété vo douzainne dézef dan so ca-
bane, pli li parti couri coté comper Bouki. Tan li procé cabane com-
per Bouki, li comancé plène, apé tchombo so vante. Comper Bouki
sorti dihor.
“ Ça to gagnin, comper Lapin ? samblé comme to pa gaya. ”
“ Oh ! non, comper Bouki, dézef torti yé poisonnin moin.Tan pri,
vité courir charché melcin. ”
“ Ma couri tan vite mo capa, comper. ”
Si vite comper Bouki parti, comper Lapin couri dan kisine é
tombé manzè dézef torti.
“ Mèci bon dgié, ma manzé mo vente plin zordi. Melcin là rété
louan, mo gagnin tan manzé tou avan yé vini. ”
Tan comper Lapin proce fini manzé dézef, li tendé comper Bouki
apé parlé dihor.
“ Doctor Makak, mo ben contan mo contré vou on chimin ; mo
zami boucou malade. ”
Comper Lapin pa perdi tan ; li ouvri la finète é sorti dihor. Com-
per Bouki rentré dans cabanne, li pas oua comper Lapin. Li couri
dan kisine ; kokille dézef parpillé tou partou. Comper Lapin dijà
rendi dans clo. Comper Bouki raché so chivé, tan li colair. Li parti
galopé apé comper Lapin. Comper Lapin si tan manzé dézef, li pa
capa galopé vite. Tan li oua comper Bouki sofé li trop proce, li fouré
dans trou di boi. Comper Bouki pélé comper Torti ki té apé pacé
dan chimin.
“ Comper Torti, tan pri, vini guété comper Lapin ki volé tou to
dézef. Ma couri charché mo lahache pour bate di boi là.
“ Couri vite, comper Bouki, ma guété cokin là ben ”
Tan comper Bouki parti, comper Lapin di :
“ Comper Torti, gardé dan trou là, ta oua si mo gagnin to dé-
zef. ”
Comper Toti lévé so latête : comper Lapin voïé boi pouri dans so
ziés. Comper Torti couri lavé so ziés dans bayou ; comper Lapin
sapé tou souite. Comper Bouki vini bate di boi ; li oua comper
Lapin dijà sapé. Li té si tan colair li couri trivé comper Torti o ra
bayou, é li coupé so latchié avé so lahache. Cé cofer latchié Torti
coute com çà jika zordi.
Compère Lapin et Compère Bouki
Traduction.
Un jour, de bon matin, compère Lapin se leva et sentit la faim
le gagner. Il chercha de tous côtes dans sa cabane, et ne trouva
rien à manger. Il alla du côté de compère Bouki. Quand il arriva,
il vit (lui voir) compère Bouki grignotant un os (après grignoter
un os).
Hé ! compère Bouki, je venais déjeuner avec toi; je vois (moi
voir) tu n'as pas quelque chose de fameux à me donner ?
— Les temps sont durs, compère Lapin; il n'y a plus de ration
dans la cabane, il n'y a juste que cet os qui soit resté.
Compère Lapin songea (jongla) un bout de temps.— Hé bien ! compère Bouki si tu veux nous irons à la chasse desœufs de tortue.
Tope ! allons, partons tout de suite.
Compère Bouki prit son panier avec sa pioche, et ils allèrent du
côté du bayou dans le bois.
Compère Lapin, je ne vais pas souvent à la chasse des œufs de
tortue, je ne sais pas beaucoup les trouver.
Ne t'inquiète pas, compère Bouki; je trouverai toujours l'endroit où les tortues pondent leurs œufs. Toi, tu les fouilleras.
Quand ils arrivèrent au ras du bayou, compère Lapin de marcher
doucement, regardant bien, par ici, par là. Bientôt il s'arrêta tout
court.
— Compère Bouki, la tortue se croit bien fine. Elle gratte la terre
avec sa grosse patte, et elle pond ses œufs dans le trou; puis elle
met un peu de sable sur eux, et puis elle éparpille des feuilles sur
son nid. Tu vois cette butte? ôte ces feuilles et gratte avec ta pioche; sûr tu trouveras des œufs.
Compère Bouki fit ce que compère Lapin lui dit, et ils virent un
tas d'œufs briller dans ce trou là.
Compère Lapin, tu es plus malin que moi; je suis bien content
de t'avoir pour ami.
Compère Lapin partagea les œufs, il en donna la moitié à compère
Bouki.
Compère Bouki, j'ai beaucoup faim, je vais manger mes œufs
(mes miens œufs-mo kenne dézef) tout de suite.
Fais comme tu voudras, compère Lapin: moi je vais porter les
miens près de ma femme pour les faire cuire.
Ils coururent beaucoup encore, et trouvèrent encore beaucoup
d'œufs. Compère Lapin mangeait toujours les siens; compère Bouki
n'aimait pas les œufs crus; il les mit tous dans son panier.
Compère Bouki, je commence à être las; je crois qu'il est
temps de nous en retourner. J'ai assez d'œufs pour aujourd'hui, compère Lapin; allons, re
tournons-nous-en.
Tandis qu'ils allaient de l'avant, compère Lapin songea en lui-
même :
Compère Bouki ne sait pas trouver les œufs de tortue, c'est moi
qui les ai trouvés, ils doivent être tous pour moi. Il faut que je fasse
métier (que je trouve moyen) pour les avoir.
Quand il furent près d'arriver, compère Lapin dit :
— Compère Bouki, j'ai oublié de porter des œufs pour ma vieille
maman. Tu devrais bien m'en prêter une douzaine; je te les rendrai
une autre fois.
Compère Bouki lui en donna une douzaine, et ils s'en allèrent
chacun son chemin. Compère Lapin alla mettre sa douzaine d'œufs
dans sa cabane, puis il s'en alla du côté de compère Bouki. Quand
il fut près de la cabane de compère Bouki, il commença à se plaindre, tenant son ventre. Compère Bouki sortit.
Qu'as-tu, compère Lapin ? on dirait que tu n'es pas gaillard.
Oh ! non, compère Bouki, ces œufs de tortue m'ont empoisonné.
Je t'en prie, vite va chercher le médecin.
— J'irai aussi vite que je pourrai, compère.
Dès que compère Bouki fut parti, compère Lapin alla dans la cuisine et se mit à manger les œufs de tortue.
— Dieu merci, je mangerai plein mon ventre aujourd'hui. Ce médecin-là demeure loin, j'ai le temps de manger tout avant qu'ils
arrivent.
Comme compère Lapin était près de finir de manger les œufs, il
entendit compère Bouki parler dehors.
— Docteur Macaque, je suis bien content de vous avoir rencontré
sur mon chemin; mon ami est bien malade.
Compère Lapin ne perdit pas de temps; il ouvrit la fenêtre et
sortit. Compère Bouki rentra dans sa cabane, il ne vit pas compère
Lapin. Il alla dans la cuisine: les coquilles d'œufs étaient éparpillées
partout. Compère Lapin était déjà rendu dans le clos. Compère Bouki
s'arracha les cheveux, tant il était en colère. Il se mit à courir
après compère Lapin. Compère Lapin avait tant mangé d'œufs qu'il
ne pouvait pas courir vite. Quand il vit que compère Bouki le
chauffait de trop près, il se fourra dans un trou d'arbre. Compère
Bouki appela compère Tortue qui passait sur le chemin.
— Compère Tortue, je t'en prie, viens guetter compère Lapin qui a
volé tous tes œufs. J'irai chercher ma hache pour abattre cet arbre.
— Va vite, compère Bouki, je guetterai ce coquin-là bien.
Quand compère Bouki fut parti, compère Lapin dit :
— Compère Tortue, regarde dans ce trou, tu verras si j'ai tesœufs.
Compère Tortue leva la tête; compère Lapin lui envoya du bois
pourri dans les yeux. Compère Tortue alla laver ses yeux dans le
bayou; compère Lapin s'échappa tout de suite. Compère Bouki vint
abattre l'arbre; il vit que compère Lapin s'était déjà échappé. Il était si en colère qu'il alla trouver compère Tortue au bord du bayou
et il coupa sa queue avec sa hache. Voilà pourquoi la queue de la
tortue est courte comme ça jusqu'aujourd'hui.»
Conte créole de la Louisiane, com. par M. Alfred MERCIER.