Revue des Traditions Populaires
1re Année. – N°3. – 25 Mars 1886.


Anguilla anguilla

Zangui

Conte créole d'Haïti

Té gaingnain youn fois youn zangui qui té vive heureux nan dlo li; toutes zoizeaux ta pra lé ravagé youn champ ; yo dit zangui si li
vlé vini tout; zangui dit:
— Oui, mais moin pas gaingnain zaile.
— En nous allé, nous va prété ou zaille.
Zangui consenti. Chaque baye zangui youn moceau zaile.
Reté pour yo allé dévasté champs-là. Zangui prend zaile li et
cou toute zoizeau zangui prend volé. Rivé nan champ la, comme
toute bête, zangui coumencé dévasté ; li mangé patate, li mangé
toute bagaille.
Mait jadin là qui ta pé fait tounin li vini ; li suprendre toute bête
la yo. Lors toute bête la yo ouais mait la toute couri coté zangui ;
yo di li :

(vif).
Zan - gui, bam' zail' moin ! zan - gui, bam' zail' moin !

Zangui rété sans zaille; li glissé sous zèbe la; li pas capable
fait youn pas. Mait jadin là couri vini; li prend zangui. Pendant
toutes bêtes la yo ta pé mandé zangui zaile yo li té tandé zangui
ta pé dit : Coument ma fait ! Coument m'a fait !

En grande pompe, li quimbé zangui, mainin li la caye li. Li fait
zangui chanté. Li ouais avec youn violon et youn tambourin li ta
capab fait you bel bal : li invité en pile moune, toute you bel so-
ciété. Lo toute moune réuni li fait paraître zangui. Zangui chanté :

O maite moin, moin pas té vini seul,
Yo té accompagnin moin,
Moin pas té vini pour dévasté place ou,
Moin té vini sèlement mangé youn patate ;
Ba moin la liberté ma chanté ba ou,
Ma diverti société ou la.
O mait moin, moin pas té vini seul,
Yo té accompagnin moin,
Moin té vini mangé youn patate,
Moin pa té vini dévasté champ ou,
Ba moin la liberté ma va chanté ba ou,
Ma va diverti société ou.

Là même bal la coumencé. Tout moune mété nan rond. Ba coumencé, violoyin prend joué.

(Modérato).

Ouin ouin ouin, ouin ouin ouin ouin, Jean Pierr’ Mi - ra -
- goué, Ouin ouin ouin, ouin ouin ouin ouin, Jean Pierr’ Mi - ra -
- goué; Ba ! mi - rangouin goué; Ha ! mi - ran - gouin
goué; Ce moin Jean Pierr’ Mi – ra – goué. Pim, bap !
1

Toute moune ébahi. Yo pas té jamais ouais youn bel ti danse con
ça. Yo prié vieloyin, zangui, tambourin, recommencé. Zangui dit :
— Non, moin pas capab recommencé. Si moin recommencé
encore ça va pèdi toute piment li.
Poutant Zangui dit conça :
— Vieloyin youn ti menuet.
Yo commencé dansé. Toute moune trouvé ça joli ; yo recommencé
encore applaudi Zangui. Cè té youn samedi soir. Comme yo té ouais
zangui té in pé fatigué yo raimmette ça à dimanche pou yo dansé
toute la journée pa ce que zangui té dit li pas té capab fait yo dansé
le soir paceque li tè bésoin sommeil li.
Com mait jadin là té pè bête vini mangé place li li allé fait youn
tounin.
Ti fille li qui té prend bel plaisir tandé zangui chanté et qui té
dansé passé toute moune lors papa li pati li allé découvri coté yo té
serré zangui là, li meté li dehors, li dit zangui :
— Si ou chanté ba moin ma meté ou dèros.
Zangui dit :
— Cé tout ça moin té mandé. Com bo dlola gaingnain youn bel ti
coté, bel, bel, bel, en nous allé là, ma sèvi vielonyin, tambourin, et
pi ma chanté.
Yo allé. Rivé, zangui meté li à chanté :

O maite moin ! moin pas té vini sel…

Et tout en disant ça, zangui fait you ti saut dèyé ; Ti fi la croi cé
té youn chic zangui pou té fait ça pi bel. Tout ébahi, li gadé com-
ment zangui fait ça.
Et pi zangui continué chanté :

Yo té accompagné moin...

Et pi zangui fait youn lot ti saut,

Moin pas té vini dévasté place ou...

Et pi zangui fait youn l'autre ti saut encore,

Moin té vini sèlement mangé you ti patate...

Et pi zangui levé quou li conça, et pi li fait youn ti pas encore,
— Ba moin la liberté, moin va chanté ba ou,
Ma divèti société ou...
Cou zangui fini dit ça zangui quiouboup ! Ti fi la, coumin ça papa
li pra lé fait li si li pas baye li zangui la, li quiou boupe dèyè li : Ah !
ce té fini, zangui té loin dija. Au désespoir, li chaché nan toutes
trous bassin la côté zangui ta capab caché, li pas trouvé anyen.
Enfin, li meté main ni ladans youn trou, li trouvé youn tout piti
zangui. Bien content, content en pil, li soti nan dlo la, li mété ti
zangui là a tè et pi li di li chanté ba li, pacequi li té crouè toute
zangui té connin chanté. Main ti zangui là, pou toute réponse
quand li interrogé li, reponne li :

Houa ! Houa ! Houa !

Ti fi la couri, li allé fèmin ti zangui là meme coté li té prend gros
zangui là et pi li meté poids cinquante en ho couverte-là; et pi li
allé chita douvent pote.
Papa li tout content sorti nan jadin li, pé réfléchi belle fête li pra
le baye dinmain. Avant li chita li dit :
— Moin pra le baye zangui là belle mangé pour dinmain. Car
dinmain même tout moune a l'entou pé vini en qué lanmori tandé
voix zangui moin.
Li rivé, li découvri boite là, li gadé, li dit :
— Oh ! yo dit coulev connin vini piti quand li v'lé, main zangui
moin la té pi gros. Pèt-être pou même qui choye la zangui moin
nan vini pi piti. Laissé moin pou moin ouais qui grand changement
ci la là.
Li allé decroqué violon li, li dit zangui chanté ; li commencé :

Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin ;
Jean Pierre Miragoué…..

Et pi li pas tandé zangui dit anyen. Li prend youn ti bois, li baye
zangui youn ti coup, zangui pas dit ayen encore. Li ba li pi fort.
Pou toute réponse, zangui dit li :

Houah! ouah ! ouah ! ouah !

Li helé ti fi li, li dit li si cé li qui pèdit zangui li. Sous figui ti fi la
seulement li ouais cé ti fi la qui fait ça. Papa ti fi là au désespoir
chongé promesse li té fait, connin si li pas quimbé promesse li
qui deshonè qui pra lé touché li et pi fanmi li, décroqué carabine li
avec sabe li. Li coupé tête zangui là. Sous corps zangui la même
li coupé tête ti fi là, li bouay youn balle et pi li tombé sous corps ti
fille la.
Et pi yo ban moin youn ti coup de pied, yo voyé moin jouque ici là
pou moin ba ou ti menti là.

Dr LOUIS JANVIER.

  1. Les deux dernières notes, très piquées et à peine articulées, donnent approximativement l'impression de mi 4 sol 3.

L'Anguille

Conte créole d'Haïti

Il y avait une fois une anguille qui vivait heureuse dans l'eau.
Des oiseaux avaient l'intention d'aller ravager un champs. Ils demandèrent à l'anguille si elle voulait venir avec eux.

L'anguille répondit :

— Oui; mais je n'ai pas d'ailes.
— Viens avec nous, nous t'en prêteront.

L'anguille consentit. Chacun des oiseaux lui donna un morceau d'aile. Il ne leur restait plus qu'à partir pour aller dévaster le champ. L'anguille se servit de ses ailes et, comme tous les oiseaux, prit sa volée. Arrivée dans le champs, comme les autres bêtes, l'anguille com ença à dévaster: elle mangea les patates, elle mangea de tout. Le maître de jardin qui faisait sa tournée vint; il surprit toutes ces bêtes.

Quand elles le virent, toutes coururent vers l'anguille et lui di rent :

Anguille, donne moi mon aile,
Anguille, donne-moi mon aile.

L'anguille resta sans aile. Elle glissa sous l'herbe. Elle ne pouvait faire un pas. Le maître du jardin accourut et se saisit de l'anguille. Il l'avait entendue qui disait: Comment ferais-je ? Comment ferai-je?

En grande pompe, il emporta l'anguille et l'enferma dans une cage. Il la fit chanter. Il vit qu'avec un violon et un tambourin il pourrait donner un beau bal: il invita beaucoup de personne, toute une belle société. Quand tout le monde fut réuni, il fit paraître l'anguille. Elle chanta :

O mon maître, je n'étais pas venue seule,
On m'avait accompagnée ;
Je n'étais pas venue dévaster votre champ,
J’étais venue manger seulement une patate,
Donnez-moi la liberté, je chanterai pour vous,
Je divertirai votre société.
O mon maître, je n'étais pas venue seule,
On m'avait accompagnée;
J'étais venue manger une patate,
Je n'étais pas venue dévaster votre champ,
Donnez-moi la liberté, je chanterai pour vous,
Je divertirai votre société.

Au même moment le bal commença. Tout le monde se mit en rond. Le bal commençant, le violon se mit à jouer :

Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin ;
Jean Pierre Miragoué,
Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin ;
Jean Pierre Miragoué,
Ah ! mirangouin goué ! ah ! mirangouin goué
C’est moi Jean Pierre Miragoué :
Pim ! bap !

Tout le monde resta ébahi. On n'avait jamais vu une aussi belle danse. On pria le joueur de violon, l'anguille et le tambourinaire de recommencer.

L'anguille dit :
— Non, je ne puis recommencer. Si je recommence, la chose perdra tout son piment.

Pourtant, l'anguille dit :
— Violon, un petit menuet.

On commença à danser. Tout le monde trouva cela joli. On recommença d'applaudir l'anguille. C’était un samedi soir.

Comme on voyait que l'anguille était un peu fatiguée, on remit à dimanche pour danser toute la journée, car l'anguille avait déclaré qu'elle ne pouvait danser le soir, ayant besoin de son sommeil.
Comme le paysan craignait que les bêtes ne vinssent dévorer son champ, il alla faire une tournée. Sa fille qui avait pris un grand plaisir à entendre chanter l'anguille et qui avait dansé plus que personne, quand son père fut parti, alla découvrir l'endroit où on avait caché l'anguille, la mit dehors et lui dit :

— Si vous chantez pour moi, je vous donnerai la liberté.

L'anguille répondit:
— Je ne demande que cela. Comme auprès de la rivière il y a un bel endroit mais beau, beau, beau, allons-y; je servirai de joueur de violon, de tambourinaire et je chanterai. On alla. Arrivées, l'anguille se mit à chanter.

O mon maître, je n'étais pas venue seule,

Et, tout en disant cela, l’anguille fit un petit saut en arrière. La petite fille crut que c'était un chic de l'anguille pour que la chose fût plus belle. Tout ébahie, elle regardait ce que faisait l'anguille.

Et l'anguille continua de chanter :

On m'avait accompagnée...

Et l'anguille fit un autre petit saut,

Je ne venais pas dévaster ton champs…

Et l'anguille fit un autre saut,

J’étais venue manger seulement une patate...

Et l'anguille leva encore sa queue et fit une pirouette en arrière.

Donne-moi la liberté, je chanterai pour toi.
Je divertirai ta société.

Aussitôt qu'elle eut dit ceci, l'anguille plongea. La jeune fille, sachant que son père la gronderait si elle ne lui rendait pas son anguille, plongea à son tour. Ah! c'était fini, l’anguille était déjà loin. Au désespoir, elle chercha dans tous les trous du bassin le gîte où l’anguille avait pu se nicher. Elle ne trouva pas ce qu’elle cherchait. Enfin, elle mit la main dans un trou et s'empara d'une toute petite anguille. Bien contente, excessivement contente, elle sortit de l'eau, mit la petite anguille à terre et lui dit de chanter, car elle croyait que toutes les anguilles savaient chanter.

Mais la petite anguille, pour toute réponse, quand elle l'interrogea, lui répondit :

Houa ! Houa ! Houa !

La fillette courut et alla enfermer la petite anguille dans la cage où elle avait pris la grosse anguille ; puis, elle mit un poids de cinquante livres sur le couvercle et alla s'asseoir au devant de la porte.

Le père radieux, sortant de son jardin, pensait à la belle fête qu'il comptait donner le lendemain. Avant de s'asseoir, il dit :
— Je vais donner à manger à l'anguille pour qu'elle soit bien portante demain; car demain, tout le monde du voisinage viendra en habit à queue de morue entendre la belle voix de mon anguille.

Il arrive, il découvre la boite, il regarde, il dit :
— Oh ! oh ! on dit que la couleuvre peut devenir petite quand elle veut, mais mon anguille était plus grosse; peut-être que, pour la même raison, elle est devenue plus petite. Que je voie quel est ce grand changement.

Il décrocha son violon et, disant à l'anguille de chanter, il com mença:

Ouin, ouin, ouin, ouin, ouin, ouin,
Jean-Pierre Miragoué...

Et il n'entendit point l'anguille chanter. Il prit un petit morceau de bois, donna un coup à l'anguille; elle ne dit rien encore. Il frappa plus fort. Pour toute réponse l'anguille fit :

Houa ! Houa ! Houa !

Il appela la petite fille et lui dit que c'était elle qui avait perdu son anguille. Sur le visage qu'elle fit seulement, il vit que c'était elle qui avait fait le coup. Le père, désespéré, songeant aux promesses qu'il avait faites, sachant que s'il ne tenait ses promesses il serait déshonoré lui et sa famille, décrocha sa carabine et son sabre. Il coupa la tête de l'anguille. Sur le corps de l'anguille, il coupa la tête de la jeune fille; il but une balle et il tomba sur le cadavre de son enfant.

Et puis on m'a donné un coup de pied, on m’a envoyé jusqu'ici pour vous conter ce petit mensonge.

Dr LOUIS JANVIER, (d'Haïti).

Zangi

Conte créole d'Haïti (corrigé partiellement par E.W. Védrine, décembre 2004)

Te genyen yon fwa yon zangi ki te viv ere nan dlo li; tout zwazo ta prale ravaje yon cham; yo di zangi si li vle vini tou; zangi di:
— Wi, men mwen pa genyen zèl.
— An nou ale, nou va prete ou zèl.
zangi konsanti. Chak bay zangi you moso zèl. Rete pou yo ale devaste cham an. zangi pran zèl li e kou tout zwazo zangi pran vole. Rive nan cham an, kòm
tout bèt, zangi koumanse devaste; li manje patat, li manje tout bagay. Mèt jaden an ki ta pe fè tounen li vini; li siprann tout bèt la yo. Lò tout bèt la yo wè mèt la, tout kouri kote zangi;yo di li:

(vif).
Zangi , ban m zèl mwen! Zangi , ban m zèl mwen!

Zangi rete san zèl; li glise sou zèb la; li pa kapab fè you pa. Mèt jaden an kouri vini; li pran zangi. Pandan tout bèt la yo ta pe mande zangi zèl yo, li te tande zangi ta pe di: "Kouman m a fè! Kouman m a fè!"

An grand ponpe, li kenbe zangi, mennen li lakay li. Li fè zangi chante. Li wè avèk you vyolon et you tambouren li ta kapab fè you bèl bal: li invite anpil moun, tout you bèl sosyete.

Lò tout moun reyini li fè parèt zangi. Zangi chante:

O mèt mwen, mwen pa te vini sèl,
Yo te akonpaye mwen,
Mwen pa te vini pou devaste plas ou,
Mwen te vini sèlman manje you patat;
Ba mwen lalibète m a chante ba ou,
M a divèti sosyete ou a.
O mèt mwen, mwen pa te vini sèl,
Yo te akonpaye mwen,
Mwen te vini manje you patat,
Mwen pa te vini devaste chan ou,
Ba mwen lalibète m a va chante ba ou,
M a va divèti sosyete ou.

La menm bal la koumanse. Tout moun mete nan ron. Bal koumanse, vyolon pran jwe.

(Modérato).