Paul Baudot, Oeuvres créoles, Traduction et
préface de M. Maurice Martin, 2e édition,
Basse-Terre, 1935, 230 p.

Chat
Chat de Guadeloupe. Photo F.P.

Chat et Macaque

Gnon jou, chat et macaque, ces dé rompis fouipons,
Té ka combiné plans con dé bon compagnons.
Dans case à maite-yo, tout con à l'ôdinè,
Pou trouvé lé moyens carré, pillé et fè
Mille méchancetés, au lié sèvi planton
Pou pouan ratte et souritte, longé à quate pattes,
Dans cuisine, té ka veillé masse patates
Yo té metté roti dans gnon michant foyé.
Macaque té vlé pouan yo. Pou ça, failé fouillé
Dans cende à di fé la qui té chaud con la bouaise.
Du boulé pattes à li, macaque pas té aise.
Dans l'embarras à li, li vini flatté chatte.
«Tonnè ! li dit-li, tambou ! qui famé patte ! ! !
Patté con vous yé là, vous tini grand valè !
Si tan moin té con ça, moin sré gnon l'empirè...
Si ou vlé couté moin, ou ké rampli di glouè ;
Moin ké fè ou gagné gnon bien belle victouè.»
Coument ? chatte mandé-li. Eh ben ! dit l'autre enfin,
Avè gnon patte à ou, rallé jisqu'a la fin
Tous ces patates-là. Pou ça, à vous la chique !
Dans moune, cé ou sel qui pé mette en pouatique
Gnon belle zaffè con ça. Quant à moin, moin kallé
Rammasse pou nous dé, sitôt ou ké rallé.
Ou kallé fè ça bien, ou grand coquemitaine
Qui tout patout conni pou gnon grand capitaine. »
Chatte fiè, et tout gonflé d'in si bel compliment,
Lâché con gnon tonnè gnon grand miaulement.
Vini vouè çu soto, rallé gnonne apouè l'aute
Tous cé patates-là ! Apoué, vini vouè l'aute
Pliché et chiqué yo ! Chatte té ka boulé-li
Dans ti manège-là, ka souquoué patte à li,
Mé li ka pouan patience. Avè gnon grand l'adresse,
Li ka rallé toujou. Macaque, à la pouesse,
ka dévoré, valé tout cà li ka trapé.
Li ka ri en didans, coquin-là, tant li pé !
Li pas ka troublé-li, et, sans pède la cate,
Dans grand bajole à li, li ka fouré patate.
Li ka bouré, foulé, jistant vente à li plein.
Et pauve chatte, hélas ! pas ka trapé aïen.
Dans même moument-là, gnon vié maman négresse,
Qui té ka vouè tout çà fout gnon bon grais se
A grands coups di bâton. Macaque voye en riant :
Et chatte, quand li fouquant, pa té pé fè autant.

Tini chatte et macaque, pami la race himaine,
Qui pareils à ceux-là bon mouché La Fontaine.
Moin connaite à dé pattes, aussi fô qui ceux-là
Qui ka rallé patates, carottes con ceux-là,
Couté bien gnon provèbe à nègue qui pas bête :
«Toujou ka trappé coups cilà qui bon vallette.»
Aussi fo méfié du cé mounes qui dou
Qui, pou badiné ou, ka vini flatté ou.

Traduction

Un jour, chat et macaque, ces habiles fripons,
Combinaient des plans comme deux bons compagnons.
Dans la maison de leur maître, tout comme à l'ordinaire,
Pour trouver le moyen de chiper, piller et faire
Mille méchanchetés, au lieu de servir de planton
Pour prendre rat et souris, allongés à quatre pattes,
Dans la cuisine, ils surveillaient une masse de patates
Qu'on avait mis à rôtir dans un grand foyer,
Macaque les voulait prendre. Pour cela, il fallait fouiller
Dans la cendre du feu qui était chaude comme la braise
.
De brûler ses pattes, macaque n'était pas aise,
Dans son embarras, il vint flatter le chat.
«Tonnerre ! lui dit-il, tambour ! quelle fameuse patte ! ! !
Patté comme vous l'êtes, vous avez grande valeur !
Si la mienne était ainsi, je serais un grand empereur...
Si vous voulez m'écouter, vous serez couvert de gloire :
Je vous ferais gagner une bien belle victoire.
Comment ? Lui demanda le chat. Et bien ! Dit l'autre enfin,
Avec une de vos pattes, tirez jusqu'à la fin
Toutes ces patates. Pour cela, à vous l'adresse ! .
Dans le monde, c'est vous seul qui puissiez mettre en pratique
Une belle affaire comme celle-là. Quant à moi, je vais
Ramasser pour nous deux, sitôt que vous tirerez.
Vous ferez bien cela, vous êtes un grand croquemitaine,
Connu partout pour un grand capitaine.»
Chat fier, et tout gonflé d'un si beau compliment,
Lâcha, comme un tonnerre, un grand miaulement
Venez voir ce sot, tirer l'une après l'autre
Touts ces patates ! Après, venez voir l'autre
Les éplucher et les ma
nger ! Chat se brûlait
Dans ce manège, secouait sa patte,
Mais prenait patience. Avec une grande adresse
Il tirait toujours. Macaque, se pressant,
Dévore, avale tout ce qu'il attrape
Il riait en dedans, ce coquin, tant qu'il pouvait !
Il ne se troublait pas, et, sans perdre la carte,
Dans sa grande bajole, fourrait les patates,
Il bourrait, foulait jusqu'à ventre plein.
Et pauvre chat hélas ! N'attrapait rien.
A ce moment, une vieille maman négresse,
Qui voyait tout cela, leur foutut une bonne volée
De coups de bâton. Macaque s'enfuit en riant ;
Et chat, quand il courut, ne peut en faire autant.

Il y a chat et macaque dans la race humaine,
Pareils à ceux du bon Monsieur La Fontaine.
J'en connais à deux pattes, aussi forts que ceux
Qui tirent patates et carottes comme ceux-là.
Ecoutez bien un proverbe de nègre qui n'est pas bête :
«Toujours recoit les coups celui qui est bon valet.»
Aussi, il faut se méfier de ces gens doucereux
Qui, pour vous badiner, viennent vous flatter.