HISTORIQUE SEMINAIRE
DES CORPS D’INSPECTION DE LA MARTINIQUE
FORT DE FRANCE LE 21 FEVRIER 2003
La permanence de l’échec scolaire dans l’Académie
de la MARTINIQUE, en dépit d’efforts importants consentis
par les uns et par les autres et des progrès réalisés,
traduit pour le moins l’inadaptation de l’enseignement
au contexte particulier de l’académie: tous les indicateurs
montrent que le système éducatif y fonctionne autrement
et ne produit pas les effets escomptés.
L’enseignement dispensé à la MARTINIQUE ne
fait pas suffisamment référence à la culture
des élèves, c’est-à-dire à
leur vécu, à leur environnement, à leur mode
de vie, à leur perception de la vie et du monde. C’est
la prise en compte de ces références culturelles qui
permet la construction identitaire sans laquelle l’équilibre
personnel peut être fragile, l’affirmation de soi incertaine
et la perception de l’intérêt même de l’Ecole
toujours remise en cause.
Bien que les programmes officiels autorisent une référence
au contexte local, l’utilisation d’exemples locaux parfois
réalisée ne permet pas d’instaurer les fondements
de la Culture Créole chez les élèves martiniquais
en raison de la dilution qu’elle subit.
Des améliorations des performances académiques sont
sans doute possibles à la condition que soient décidés
et appliqués des changements profonds de l’enseignement
destinés à prendre en compte les particularités
des élèves martiniquais. Des modifications superficielles
ne peuvent pas permettre d’atteindre cet objectif dans des
délais et au rythme souhaités: cette stratégie,
maintes fois préconisée, a été appliquée
sans succès notoire.
Considérant les causes suivantes de l’inadaptation
de l’enseignement aux réalités martiniquaises:
- les programmes d’enseignement sont conçus pour
un pays riche, développé; ils sont
mis en œuvre dans une «région ultrapériphérique,
en retard de développement» selon les termes
de la Communauté Européenne; ils ne peuvent prendre
en compte que très imparfaitement cette spécificité;
- les programmes d’enseignement sont conçus pour
un pays de type continental et mis en œuvre dans une
région dont la principale caractéristique est l’insularité:
tous les aspects de la problématique de ce concept n’y
sont pas pris en compte;
- les programmes d’enseignement sont conçus pour
un pays au climat tempéré et mis en œuvre
dans un pays tropical: ils ne font pas précisément
référence au monde tropical, parfois évoqué
avec un exotisme mal connoté;
- les programmes d’enseignement sont conçus pour
un pays qui a une longue Histoire et ses traditions
culturelles ancestrales d’une part et une «
histoire particulière » avec la Martinique d’autre
part: ils ne peuvent prendre en compte l’histoire propre
de la Martinique, et ils n’offrent aux élèves
que des modèles dans lesquels ils ne se reconnaissent pas
et auxquels ils peuvent difficilement s’identifier.
L’enseignement ainsi conçu ne favorise pas la construction
identitaire des élèves martiniquais. Il génère
chez eux des difficultés diverses non négligeables
car constituant autant de freins à l’entrée
dans les apprentissages voire à l’exercice des activités
intellectuelles.
Pour sortir de cette impasse, nous proposons l’instauration
immédiate d’un véritable enseignement obligatoire
intitulé «HUMANITES CREOLES»
avec un horaire, un programme, des contrôles au niveau des
élèves (évaluations) et des enseignements (inspections),
aussi bien dans le premier que dans le second degré.
Ce «nouvel enseignement » s’ajoutera
à ceux qui font référence aux programmes nationaux.
Ils ne sont pas exclusifs mais complémentaires les uns
des autres car il faudra tout à la fois
- respecter le cadre national,
- valoriser la richesse culturelle créole,
- éviter l’enfermement des esprits dans un
cadre par trop restrictif,
- favoriser l’ouverture au monde et l’accès
aux valeurs universelles,
- faciliter les apprentissages dans un contexte d’identité
restaurée, de sérénité retrouvée
et de dignité affirmée.
Pour mener à bien cette opération historique,
un Comité Académique des Programmes sera créé.
Il sera constitué d’un représentant de tous
les champs disciplinaires, y compris celui des Langues et Cultures
Régionales. Il aura pour mission:
- de proposer les contenus des programmes des Humanités
Créoles
- de réfléchir et de proposer des solutions en
vue de poursuivre et de renforcer l’adaptation des programmes
nationaux aux réalités martiniquaises.
Chaque représentant des champs disciplinaires s’entourera,
pour ce faire, d’une commission constituée de spécialistes.
Les partenaires de l’éducation (syndicats, associations
de parents d’élèves, formations politiques,…)
seront informés dans un climat de concertation générale.
Il s’agit donc de satisfaire à une revendication
aussi légitime qu’ancienne, à savoir, la prise
en compte réelle, autrement qu’anecdotique, de ce qui
fait d'un martiniquais ce qu'il est. Outre l’intérêt
pédagogique, on affirme ici que l'identité sereinement
construite des élèves leur garantira une ouverture
sans complexe au monde.
Que sont les HUMANITES CREOLES?
Les Humanités Créoles, comme précisé
précédemment, sont un enseignement dont l’objectif
est l’amélioration du contrat pédagogique entre
l’enseignant et l’élève martiniquais grâce
à une meilleure prise en compte de l’environnement
et de la culture créoles.
Humanités Créoles, dans la mesure où l’ensemble
des relations de l’élève martiniquais avec son
monde est dominé par l’évolution socio-historique
d’une langue et d’une culture pour lesquelles une communauté
n’a pas cessé de lutter dans le but de la faire reconnaître.
Il n’est pas inutile de rappeler tout d’abord que
cette entreprise a été largement engagée par
des initiatives locales ou institutionnelles. Parmi celles-ci on
peut citer le dispositif d’adaptation des programmes, la mise
en place de l’option Créole soutenue par le travail
des universitaires qui a conduit au CAPES Langues et Cultures Régionales
— Créoles, des actions d’associations de parents
d’élèves et d’institutions privées
comme l’AMEP (Association Martiniquaise d’Education
Populaire) et l’IME (Institut Martiniquais d’Etudes),
ou encore la création du CMAC (Centre Martiniquais d’Action
Culturelle) et du SERMAC (Service Municipal d’Action Culturelle)
pour ce qui concerne les arts et la culture entre autres …
Il manquait cependant une réelle insertion de ce projet
global dans le cadre officiel des enseignements. Son originalité
tient à ce qu’il est essentiellement focalisé
sur le rapport au savoir de l’élève, c'est-à-dire
qu’il cherche à donner à celui-ci les moyens
de son accession à la qualité de sujet par l’appropriation
de son environnement pratique, théorique et symbolique.
C’est ainsi qu’est né le concept d’Humanités
Créoles, dans une réflexion ouverte et constructive
puisqu’il s’agit, par cet enseignement, d’accéder
aux Grandes Valeurs Humaines Universelles.
Plus spécifiquement, sur le plan pédagogique, il
s’agit de pouvoir donner aux élèves et à
leurs maîtres des points de repère à la fois
discriminants et comparatifs dans l’espace universel de l’enseignement.
Et c’est précisément par l’enseignement
des pratiques, des savoirs et des créations créoles
que l’on peut espérer atteindre ce but.
Outre que cet enseignement aura toute sa place dans l’ensemble
des mesures déjà existantes pour la prise en charge
des élèves en difficulté, il réconciliera
tous les élèves martiniquais avec ce qu’ils
apprennent, il recentrera leur plaisir d’apprendre, et il
donnera du sens à l’Ecole, à la citoyenneté,
à tout ce qui fonde les valeurs républicaines.
Enfin, plus techniquement, cet enseignement servira de référent
culturel général aux autres enseignements traditionnels
qui sont proposés.
En ce qui concerne les contenus, le terrain n’est pas vierge:
il existe des recherches pour l’adaptation des programmes
mais aussi, des travaux menés par l’Université
des Antilles et de la Guyane et l’IUFM dans le cadre de la
préparation au CAPES LCR-Créoles.
Un réel travail d’inventaire, de constructions de
modèles et d’expériences pédagogiques
sera nécessaire pour améliorer progressivement les
contenus enseignés .Il serait souhaitable dans un premier
temps, de mettre en place les cadres généraux d’interventions
annuelles ou pluriannuelles à travers une organisation rigoureuse
des programmes de chaque niveau.
Si la langue créole et son usage sont constitutifs de cet
enseignement, affirmons clairement que les Humanités
Créoles ne se réduisent pas à l’enseignement
du Créole.
Sur le plan de l’intervention pédagogique des maîtres,
le cadrage présenté ne s'oppose pas, bien au contraire,
à la prise d’initiatives personnelles innovantes. La
pédagogie se voudra inventive, fondée sur celle de
la découverte d’un monde et pourra faire éventuellement
et utilement appel à des intervenants extérieurs.
En conclusion, il convient dans un premier temps, d’affirmer
les principes qui fondent les Humanités Créoles:
- donner à l’élève martiniquais une
culture générale liée à son environnement
avec le double objectif de lui permettre de construire son identité
d’une part, de mieux comprendre les savoirs et savoir-faire
qui figurent dans les programmes nationaux d’autre part:
cette double condition facilitera l’accès à
l’Universel;
- modifier le rapport de l’élève au savoir
en raison de l’instauration d’une plus grande proximité
entre le savoir et l’élève;
- donner consistance au réel dans lequel vit l’élève
martiniquais;
- enfin viser d’une manière générale
à l’amélioration des résultats scolaires.
Dans un second temps, il est utile de préciser avec fermeté
que la mise en place de cet enseignement exige qu’il soit
- IDENTIFIE comme tel, NON DILUE dans les autres disciplines et
par conséquent disposant d’un créneau horaire
et soumis, comme ces dernières, à des évaluations,
- RECONNU par tous,
- FORMALISE dans ses objectifs par des programmes rigoureux conçus
par un Comité Académique,
- OFFICIALISE par un texte ayant force de loi.
ANNEXES:
1. Extraits des réponses des Inspecteurs à la demande
du Recteur en octobre 2002 sur l’adaptation des programmes,
dans le cadre de la préparation des Assises Régionales
des libertés locales:
Afin que les propositions faites ci-dessus n’apparaissent
pas comme un appendice superflu, elles prendront la forme d’un
enseignement obligatoire qui devra bénéficier d’un
horaire spécifique (1 ou 2 heure(s) par semaine pendant
toute la scolarité par exemple) et sera évalué,
comme les autres enseignements.
En plus des sujets évoqués plus haut et propres
aux SVT, la géographie, l’histoire, la littérature,
la musique, l’art culinaire, l’architecture, l’ébénisterie,
la peinture… locaux ou caribéens, fondements de la
culture créole, seront aussi étudiés dans
le cadre de cet enseignement, à travers un programme détaillé,
seul moyen de prendre en compte de manière non anecdotiqu
les réalités spécifiques locales dans l’enseignement…
Emilien Pierre PETIT, IA-IPR SVT, octobre 2002
Les programmes de l'enseignement professionnel sont présentés
sous la forme de référentiels formulés en
termes de compétences, capacités et éventuellement
de savoirs associés. Les instructions pédagogiques
recommandent fortement l'ancrage de toutes les activités
pédagogiques dans l'environnement immédiat et quotidien
des élèves.
C'est pourquoi, en matière d'enseignement professionnel,
il est plus judicieux d'envisager l'adaptation de l'enseignement
que celle des programmes.
Lucienne de MONTAIGNE, DAET/DAFCO, octobre 2002.
Les observations et remarques de mes collègues sur
la culture des élèves et notamment sur la connaissance
de leur environnement proche, me conduisent à penser qu’un
enseignement obligatoire sur la culture créole devrait
être instauré.
C’est pour cela que je propose que de la maternelle
à la classe de terminale, il soit inscrit à l’emploi
du temps hebdomadaire des élèves des heures consacrées
à l’étude de leur environnement créole.
Ce temps — qui pourrait être une heure dans le premier
degré, deux dans le second degré — permettrait
à l’élève d’apprendre et de comprendre
les éléments constitutifs de sa culture.
Il convient d’insister sur deux points:
1° il ne s’agit en aucun cas d’activités
( parcours diversifiés, itinéraires de découvertes
ou PAE…) mais d’un enseignement structuré dans
son programme, avec des contrôles de connaissances. Le projet
élaboré par l’équipe pédagogique
doit être validé par le conseil d’administration
de l’établissement.
2° un tel projet apporterait un souffle nouveau dans
un enseignement qui, à certains égards, ignore pour
une bonne part les éléments constitutifs du vécu
d’un élève martiniquais. Or nous savons tous
que ce qui incruste les notions et valeurs universelles doit trouver
son fondement dans l’expérience quotidienne. C’est
parce que l’élève donne du sens aux notions
qu’on lui apprend par rapport à ce qui l’entoure
qu’il en comprend plus nettement l’universalité.
Bernard ALARIC, Doyen des IPR, octobre 2002.
2. Contribution aux Assises Régionales des libertés
locales 21 janvier 2003
Instauration d’un enseignement obligatoire d’une
à deux heures hebdomadaires, intitulé «Humanités
Créoles» ayant pour objectif la connaissance de la
culture et de l’environnement locaux et caribéens
et dispensé sur la base d’un programme spécifique
élaboré par le « Comité Académique
des Programmes ». En prenant en compte les réalités
locales au contact desquelles vivent les élèves,
cet enseignement vise à rendre ces derniers plus à
l’aise et, par conséquent, à faciliter les
apprentissages prévus dans les programmes nationaux et
plus généralement, l’accès à
l’universel.
Emilien Pierre PETIT, IA-IPR des SVT, janvier 2003.
|